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Croisementsd’expertisessurune
expérienced’évaluationparlespairs
audeuxièmecycledel’enseignement
supérieur
Crossingofexpertiseonapeerassessmentexperienceinhigher
education
Intercambiodeexperienciassobreunaevaluaciónporparesen
losestudiossuperioresdesegundociclo
https://doi.org/10.52358/mm.vi9.253
Marie-Josée Dubois, chargée de cours
Université de Sherbrooke, Canada
marie-josee.dubois2@usherbrooke.ca
Marie-Ève Desrochers, conseillère technopédagogique
Université de Sherbrooke, Canada
marie-eve.desrochers@usherbrooke.ca
Isabelle Nizet, professeure
Université de Sherbrooke, Canada
isabelle.nizet@usherbooke.ca
RÉSUMÉ
Dans le cadre d’un balado, une conseillère pédagogique et une chercheuse en évaluation
posent des questions à une formatrice sur son expérience de conception d’une situation
d’évaluation par les pairs effectuée lors d’un cours de deuxième cycle en éducation se
déroulant à distance en mode asynchrone. Cette réflexion constructive à trois voix et cette
triangulation des praxéologies de formation ont permis l’analyse de la pratique évaluative et
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de ses retombées sur l’expérience étudiante et les apprentissages acquis. Les constats tirés
de cet échange sont présentés de manière à mettre en lumière les bénéfices et les limites de
l’évaluation par les pairs à l’aide du numérique afin de favoriser sa mise en place dans d’autres
contextes en enseignement supérieur.
Mots-clés :
évaluation, évaluation par les pairs, formation à distance, asynchrone, numérique
ABSTRACT
As part of a podcast, a pedagogical advisor and an evaluation researcher questioned a teacher
on her experience of designing a peer assessment carried out during a graduate course in
education taking place at a distance in asynchronous mode. This constructive reflection in
three voices and this triangulation of training praxeology allowed the analysis of evaluative
practice and its impact on the student experience and learning. The findings from this
exchange are presented in such a way as to highlight the benefits and limits of peer
assessment using digital technology in order to promote its application in other contexts in
higher education.
Keywords:
assessment, peer assessment, online learning, asynchronous mode, technology
RESUMEN
En un podcast, una asesora pedagógica y una investigadora de la evaluación interrogaron a
una instructora sobre su experiencia en el diseño de una situación de evaluación entre pares
durante un curso de posgrado en educación que se desarrol en modo asíncrono. Esta
reflexión constructiva a tres bandas y la triangulación de la praxis formativa permitieron
analizar la práctica de la evaluación y su impacto en la experiencia de los estudiantes y en su
aprendizaje. Los resultados de este intercambio se presentan con el fin de poner de relieve
las ventajas y las limitaciones de la evaluación digital entre iguales para fomentar su aplicación
en otros contextos de educación superior.
Palabras clave:
evaluación, revisión por pares, aprendizaje a distancia, asíncrono, digital
Introduction
Bien que sa pertinence pédagogique semble relativement consensuelle sur le plan théorique, l'évaluation
par les pairs serait une pratique évaluative assez peu répandue en enseignement supérieur (Roy et
Michaud, 2018). Présentée comme une approche pédagogique pédagocentrée déjà prônée bien avant
l'implantation de l'approche par compétences, elle suscite encore des inquiétudes chez les personnes
formatrices de l’enseignement supérieur. En effet, la perception que les personnes étudiantes ont de ce
type d’évaluation (Durand, 2021), la validité et la valeur ajoutée de la démarche aux yeux des personnes
formatrices ainsi que des personnes étudiantes ou encore la faisabilide cette modalité d’évaluation à
distance (Landry, Jacobs et Newton, 2015) continuent de soulever des questions.
Le témoignage que nous présentons a été recueilli lors d’un balado portant sur l’expérimentation d’une
situation d’évaluation en soutien à l’apprentissage par les pairs en contexte de formation à distance
asynchrone. Cet entretien, structuré sous forme d’un échange à trois voix, a pour objectif d’expliciter la
description de l’expérimentation par la formatrice et d’en faire une relecture croisée sous l’angle des enjeux
numériques, pédagogiques et professionnels pour la formatrice et ses personnes étudiantes. Cette
triangulation de perspectives vise à donner au témoignage une valeur ajoutée pour une future mise en
œuvre opérationnelle et raisonnée dans d’autres contextes.
La formatrice Marie-Josée Dubois décrit l’expérience d’une activité d’évaluation en situation authentique
dans un cours de deuxième cycle en s’inspirant du modèle SoTL (Bélisle, Lison et Bédard, 2016).
Marie-Ève Desrochers, en tant que conseillère pédagogique, s’intéresse à la manière dont l’intégration du
numérique est pensée dans cette expérience et à ses enjeux pédagogiques pour les personnes étudiantes
et la formatrice.
Isabelle Nizet, en tant que spécialiste en évaluation des apprentissages et des compétences, s’interroge
sur cette expérience sous l’angle de la construction des savoirs professionnels en évaluation pour les
personnes étudiantes et la formatrice.
Description de l’expérience par la formatrice
MARIE-ÈVE DESROCHERS :
Pourrais-tu commencer par nous décrire le contexte de formation dans
lequel se déroulait ton cours?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Dans le cadre d’un cours obligatoire en évaluation des apprentissages offert à
la maîtrise qualifiante en enseignement au secondaire, deux groupes de 22 et 28 personnes étudiantes
respectivement ont été amenés à développer la compétence à évaluer les apprentissages des futurs
élèves, mais également à mobiliser le numérique et agir en accord avec les principes éthiques de la
profession enseignante. Il s’agit d’un cours de 45 heures menant à l’obtention de 3 crédits dans ce
programme qui est offert en mode asynchrone à l’Université de Sherbrooke. De plus, par souci de
cohérence avec les principes enseignés dans le cours, l’approche de la pédagogie active est mise en
place afin de favoriser l’engagement des personnes étudiantes et leur responsabilisation vis-à-vis des
apprentissages. Ainsi, plusieurs stratégies sont privilégiées, comme l’utilisation de forums de discussions
et d’un portfolio d’apprentissage. Certaines personnes étudiantes ont déjà une expérience en
enseignement, mais peu d’entre elles ont eu à concevoir une grille d’évaluation descriptive.
MARIE-ÈVE DESROCHERS :
Quelles étaient tes intentions pédagogiques en choisissant l’évaluation
par les pairs?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Premièrement, pour répondre aux besoins des personnes étudiantes, je voulais
que la situation soit authentique et qu’elle s’insère dans un alignement pédagogique entre les compétences
à développer, les activités d’apprentissage et les activités d’évaluation du cours. Comme la démarche pour
la conception d’une grille inclut une étape de révision, je voulais que les personnes étudiantes puissent
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formatrices ainsi que des personnes étudiantes ou encore la faisabilide cette modalité d’évaluation à
distance (Landry, Jacobs et Newton, 2015) continuent de soulever des questions.
Le témoignage que nous présentons a été recueilli lors d’un balado portant sur l’expérimentation d’une
situation d’évaluation en soutien à l’apprentissage par les pairs en contexte de formation à distance
asynchrone. Cet entretien, structuré sous forme d’un échange à trois voix, a pour objectif d’expliciter la
description de l’expérimentation par la formatrice et d’en faire une relecture croisée sous l’angle des enjeux
numériques, pédagogiques et professionnels pour la formatrice et ses personnes étudiantes. Cette
triangulation de perspectives vise à donner au témoignage une valeur ajoutée pour une future mise en
œuvre opérationnelle et raisonnée dans d’autres contextes.
La formatrice Marie-Josée Dubois décrit l’expérience d’une activité d’évaluation en situation authentique
dans un cours de deuxième cycle en s’inspirant du modèle SoTL (Bélisle, Lison et Bédard, 2016).
Marie-Ève Desrochers, en tant que conseillère pédagogique, s’intéresse à la manière dont l’intégration du
numérique est pensée dans cette expérience et à ses enjeux pédagogiques pour les personnes étudiantes
et la formatrice.
Isabelle Nizet, en tant que spécialiste en évaluation des apprentissages et des compétences, s’interroge
sur cette expérience sous l’angle de la construction des savoirs professionnels en évaluation pour les
personnes étudiantes et la formatrice.
Description de l’expérience par la formatrice
MARIE-ÈVE DESROCHERS :
Pourrais-tu commencer par nous décrire le contexte de formation dans
lequel se déroulait ton cours?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Dans le cadre d’un cours obligatoire en évaluation des apprentissages offert à
la maîtrise qualifiante en enseignement au secondaire, deux groupes de 22 et 28 personnes étudiantes
respectivement ont été amenés à développer la compétence à évaluer les apprentissages des futurs
élèves, mais également à mobiliser le numérique et agir en accord avec les principes éthiques de la
profession enseignante. Il s’agit d’un cours de 45 heures menant à l’obtention de 3 crédits dans ce
programme qui est offert en mode asynchrone à l’Université de Sherbrooke. De plus, par souci de
cohérence avec les principes enseignés dans le cours, l’approche de la pédagogie active est mise en
place afin de favoriser l’engagement des personnes étudiantes et leur responsabilisation vis-à-vis des
apprentissages. Ainsi, plusieurs stratégies sont privilégiées, comme l’utilisation de forums de discussions
et d’un portfolio d’apprentissage. Certaines personnes étudiantes ont déjà une expérience en
enseignement, mais peu d’entre elles ont eu à concevoir une grille d’évaluation descriptive.
MARIE-ÈVE DESROCHERS :
Quelles étaient tes intentions pédagogiques en choisissant l’évaluation
par les pairs?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Premièrement, pour répondre aux besoins des personnes étudiantes, je voulais
que la situation soit authentique et qu’elle s’insère dans un alignement pédagogique entre les compétences
à développer, les activités d’apprentissage et les activités d’évaluation du cours. Comme la démarche pour
la conception d’une grille inclut une étape de révision, je voulais que les personnes étudiantes puissent
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réviser ou améliorer leur grille même si elles ne pouvaient pas l’expérimenter auprès d’élèves.
Deuxièmement, l’évaluation par les pairs m’est apparue comme l’outil le plus efficace pour permettre
l’obtention d’une rétroaction en cours de processus d’apprentissage et pour favoriser la régulation des
apprentissages. Troisièmement, je souhaitais encourager l'engagement des personnes étudiantes étant
donné le caractère asynchrone du cours. Finalement, le choix de l’évaluation par les pairs repose aussi
sur l’interdépendance positive entre les personnes étudiantes qui sont obligées de s’engager pour pouvoir
réaliser la tâche et atteindre l'objectif.
MARIE-ÈVE DESROCHERS :
Maintenant, peux-tu nous décrire la conception de cette situation
d’évaluation par les pairs?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Dans un premier temps, pour établir un cadre théorique, la lecture d’un chapitre
du livre obligatoire du cours a été essentielle. De plus, plusieurs exercices pratiques ont été réalisés
préalablement afin que les personnes étudiantes puissent s’approprier les cadres d’évaluation ministériels
qui sont prescrits dans les pratiques évaluatives au Québec. Ensuite, elles devaient choisir une situation
d'évaluation. Une rencontre synchrone a été proposée durant laquelle j’ai modélisé la démarche de
conception d’une grille descriptive. J’ai pu expliquer le déroulement de l’évaluation par les pairs, répondre
aux questions et m’assurer de la compréhension des critères d’évaluation par les personnes étudiantes.
Dans un deuxième temps, la fonction « atelier » de Moodle a été utilisée afin de structurer l’évaluation par
les pairs en trois phases en respectant un échéancier organisé sur deux semaines. La première phase
consistait en la remise de la grille à l’aide d’une courte vidéo de présentation. Dans la deuxième phase de
l’atelier, j'ai attribué à chacune des personnes étudiantes deux pairs évaluateurs. Ensuite, elles évaluaient
les grilles en remplissant un formulaire qui est, en fait, une grille d'évaluation à échelle descriptive
informatisée. La personne étudiante évaluatrice pouvait également laisser un commentaire général
d’appréciation ou apporter une précision. Finalement, lors de la troisième phase de l’atelier, chaque
personne étudiante prenait connaissance des rétroactions qui lui étaient adressées. Pour terminer le
travail, les personnes étudiantes remettaient un document sur Moodle comprenant la grille initiale suivie
de la grille améliorée ainsi qu’une justification des changements apportés ou non à leur grille initiale. J’ai
finalement évalué le travail en fonction des critères d’élaboration de la grille et du critère de pertinence des
justifications. J’ai pu observer une grande amélioration entre la production initiale et finale, signe que
l’évaluation par les pairs a été formatrice autant pour le pair évalué que le pair évaluateur.
MARIE-ÈVE DESROCHERS :
Quelles ont été les TIC utilisées et que les personnes étudiantes ont eu
à manipuler pour mener à bien cette situation d’évaluation?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Puisque l'Université de Sherbrooke utilise Moodle, j'ai cherché à centraliser
toutes les étapes du travail sur cette plateforme. Dans l’atelier Moodle, j’ai choisi le mode coévaluatif
(opposé au mode autoévaluatif) et l’attribution manuelle des personnes évaluatrices, mais une attribution
aléatoire aurait pu être possible. Pour la réalisation de la vidéo de présentation de la grille, les personnes
étudiantes étaient libres d’utiliser les outils de leur choix tels que le document PowerPoint commenté,
Screencast, Screencastify ou iMovie.
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Enjeux numériques, pédagogiques et professionnels de
l’expérience
MARIE-ÈVE DESROCHERS :
Comment as-tu utilisé la technologie en soutien à l'apprentissage dans
le cadre de cette situation d'évaluation par les pairs?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Dans ma réflexion initiale, la technologie est venue remplacer ce qui aurait pu
se faire en mode présentiel, en format papier par exemple. Mais, lors du déroulement de l'activité, je voyais
la richesse des interactions qui se créaient et l'accessibilité rapide de la rétroaction, ce qui a rendu
l'évaluation par les pairs très efficace de mon point de vue. Dans un cours comme celui-ci, l'autonomie est
essentielle pour pouvoir réaliser les activités pédagogiques prévues. La technologie s'impose d’elle-même.
Comme tout le programme se déroule en mode asynchrone sur Moodle, les personnes étudiantes étaient
déjà à l'aise avec cette façon de procéder. L’usage du numérique m’a permis d’améliorer la coordination
des activités pédagogiques, notamment pour former les équipes de pairs évaluateurs et de pairs évalués.
Cela a aussi amené une plus grande efficacité dans la réalisation des rétroactions. L’immédiateté des
échanges à distance a amené une économie de temps pour les personnes étudiantes et pour moi-même,
car nous pouvions rétroagir simultanément.
MARIE-ÈVE DESROCHERS :
En quoi l'usage des technologies a-t-il permis de centrer les
apprentissages sur les besoins des personnes étudiantes?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Comme l’atelier dans Moodle a permis une rétroaction individuelle de la part de
deux personnes évaluatrices différentes, l’évaluation par les pairs répondait aux besoins individuels de
chaque personne étudiante pour cibler ses forces et ses faiblesses. La grille d’évaluation à échelle
descriptive informatisée et les espaces numériques réservés pour les commentaires sont complémentaires
et permettent de partager des explications personnalisées à la suite des observations réalisées. Ils
permettent à la fois de guider le jugement évaluatif de la personne évaluatrice et de communiquer des
informations clés favorisant la régulation des apprentissages à la personne évaluée.
MARIE-ÈVE DESROCHERS :
Crois-tu que l'usage des technologies ait rendu cette situation
d’évaluation plus complexe?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Honnêtement, si je n’ai globalement pas observé de freins à l'apprentissage, j'ai
sous-estimé la difficulté pour les personnes étudiantes d’utiliser la remise en format vidéo. C'était une
première expérience pour certaines d’entre elles. Par contre, comme dans le programme, les personnes
étudiantes doivent développer la compétence à mobiliser le numérique, je juge que ce choix est justifié.
L’objectif était que les personnes étudiantes puissent expliquer le contexte de leur situation d'évaluation
et leur grille ainsi que les choix qu'elles avaient faits.
MARIE-ÈVE DESROCHERS :
En quoi l'usage des technologies a-t-il aidé à rendre la situation
d’évaluation plus authentique?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Selon moi, l’authenticité se retrouve dans la reproduction de la démarche dans
laquelle on crée une grille en milieu de travail. En enseignement secondaire, Moodle est très peu utilisé.
L'utilisation des outils Google tels que le formulaire avec l’extension Doc Appender et un document pour
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réaliser la coévaluation aurait peut-être été plus pertinente pour que les personnes étudiantes puissent
transférer l'expérience vécue dans leur pratique. Cependant, l’ayant déjà vécu dans leur formation, elles
pourraient ultérieurement chercher des ressources technopédagogiques pour reproduire une expérience
similaire et transposer cette activité en classe.
ISABELLE NIZET :
Tu demandes donc aux personnes étudiantes d’évaluer du matériel d’évaluation
conçu par leurs pairs en souhaitant qu’elles puissent transposer cette pratique auprès de leurs
propres élèves. Quel est ton raisonnement pédagogique à cet égard?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Selon moi, un programme de formation en enseignement doit favoriser un
alignement entre la pédagogie expérimentée par la personne étudiante et celle qu'elle devrait mettre en
application dans sa vie professionnelle. Dans une formation à l’évaluation en aide à l’apprentissage, il est
important de favoriser une pédagogie active pour la faire vivre afin d’en mesurer les bénéfices et pour
créer la motivation à reproduire cette expérience auprès de ses propres élèves. De plus, lorsque la
personne enseignante conçoit une grille d'évaluation, elle doit souvent rencontrer des collègues pour en
discuter et échanger à ce sujet. Une des personnes enseignantes va entamer la conception de la grille;
ensuite, elle va l'envoyer à une autre qui va donner des commentaires. En ce sens, je dirais que l'évaluation
par les pairs avec l'atelier Moodle a reproduit de manière authentique cet échange. La portion d'échange
verbal n’est pas présente, mais le dialogue qui précise ce que le pair devrait améliorer l’est. C'est sûr que
j’aurais pu planifier une coévaluation entre les personnes étudiantes et moi, c’est-à-dire qu'elles auraient
pu me donner une version préliminaire de leur grille et moi, leur offrir une rétroaction, pour ensuite leur
permettre d’en produire une version améliorée. Cela m'aurait demandé plus de travail, mais je voyais aussi
cette valeur ajoutée dans l'évaluation par les pairs pour les personnes évaluatrices, ce qui m’a incitée à
leur donner ce rôle.
ISABELLE NIZET :
Comment as-tu pu recueillir des informations sur ces bénéfices, justement?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Même si je n'avais au départ pas l'intention de mesurer l'impact de ma pratique,
dans leur portfolio de réflexion déposé à la fin de la session, les personnes étudiantes ont nommé les
bénéfices de l'évaluation par les pairs dans leurs propres mots. Elles disaient que, grâce aux commentaires
reçus de leurs pairs, elles avaient été capables d'ajuster leur production. Elles ont aimé ce processus qui
leur a permis d'obtenir de la rétroaction avant une évaluation formelle par la personne enseignante.
ISABELLE NIZET :
Cette évaluation par les pairs a donc réellement été formatrice pour les
personnes étudiantes. De quelle manière, selon toi?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Pour moi, l'évaluation par les pairs est formatrice de deux manières. La personne
étudiante dont le travail est évalué doit pouvoir accéder à des points de vue différents et obtenir de la
rétroaction pour évaluer son travail avec les informations qu’elle reçoit. Il y a également le rôle de la
personne évaluatrice qui doit s’approprier les critères d'évaluation de la tâche. Elle aussi va réguler sa
propre production en comparant sa production avec ce qu'elle a pu évaluer.
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ISABELLE NIZET :
Concernant les critères d’évaluation de la tâche, comment s’est réalisée leur
appropriation?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
J'avais une contrainte importante, puisque dans le plan de cours, je devais
annoncer les critères d'évaluation rattachés à ce travail. Donc, il fallait que j'impose les critères
préalablement. Mais pour contrebalancer cet effet, j'ai présenté la grille et les critères dans une rencontre
synchrone avec les personnes étudiantes. Il y a eu un échange à ce moment-pour m'assurer qu'elles
maîtrisaient bien la compréhension de ces critères.
ISABELLE NIZET :
Si tu n’avais pas eu ces contraintes, ces critères d'évaluation auraient-ils pu être
construits avec les personnes étudiantes pour améliorer leur apprentissage ou le rendre plus
durable?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Effectivement, dans un monde idéal on aurait pu construire les critères ensemble;
on aurait pu utiliser, par exemple, le forum de discussion pour faire émerger les critères d'évaluation après
avoir fait les premières lectures théoriques. Cela aurait pu être très intéressant, mais il y a toujours la
contrainte de temps, car on aurait eu besoin d'avoir plusieurs jours pour réaliser cela.
ISABELLE NIZET :
Pour clore avec le sujet des critères, as-tu observé un écart important entre ta
propre évaluation des grilles et celles qui avaient été faites par les pairs évaluateurs?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
C’était variable, mais en général, les points soulevés par les pairs évaluateurs
étaient très pertinents. Je les confirmais quand j'offrais ma rétroaction.
ISABELLE NIZET :
Tu avais aussi pour intention pédagogique de favoriser l’interdépendance
entre les personnes étudiantes. Quel type d’interdépendance y a-t-il eu entre la personne
évaluatrice et la personne dont la grille était évaluée?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Dans les travaux d'équipe traditionnels, il est possible d’éviter une réelle
coopération ou la collaboration dans la mesure les personnes étudiantes peuvent travailler
individuellement de manière parallèle sur un travail. Dans cette expérience, l'interdépendance entre le pair
évaluateur et le pair évalué était visiblement positive dans le sens où l’amélioration de sa production était
conditionnelle au fait de recevoir une rétroaction.
ISABELLE NIZET :
Tu souhaitais également que cette interdépendance ait un effet positif sur
l’engagement des personnes étudiantes. Cela a-t-il été le cas?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
L'engagement est favorisé lorsqu’on doit s'impliquer effectivement pour pouvoir
atteindre un objectif final. Dans la mesure où toutes les personnes étudiantes avaient le même objectif de
réussite, toutes se sont appliquées à donner des commentaires assez pertinents et à vouloir créer des
rétroactions efficaces pour leur pair, parce que lui-même aussi allait en recevoir de la part de quelqu'un
d'autre.
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ISABELLE NIZET :
Il semble pourtant qu’il n'y a pas eu d'interaction directe entre le pair évaluateur
et le pair évalué. L’usage du formulaire en mode asynchrone au lieu d’un échange synchrone sur
la grille a-t-il eu des avantages selon toi?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
De mon point de vue, l'asynchronisme permet au pair évaluateur d’avoir plus de
temps pour s'arrêter, comprendre la production à évaluer et se poser les bonnes questions afin d’être
lucide dans ses commentaires et ses rétroactions. J'ai aussi remarqué que la technologie du formulaire
numérique utilisée en mode asynchrone avait permis aux pairs évaluateurs d’être un peu plus francs, plus
justes et, par exemple, d’éviter la surestimation dans l’évaluation. En effet, seul derrière un écran, chacun
avait moins peur de blesser l'autre dans ses commentaires et a donc donné des rétroactions constructives.
Tout le monde était respectueux. Les personnes étudiantes ne se sentaient pas jugées dans les
commentaires formulés. J'ai l'impression qu’en personne, quand on est en évaluation par les pairs, on
peut se sentir menacé par le jugement des autres; on marche sur des œufs, on ne veut pas froisser l'autre.
Je pense que la technologie a permis de contrebalancer ces deux effets : celui de la surévaluation et celui
de la gêne face à l’évaluation d’un pair. Bien sûr, cela aurait été impossible à faire sans la technologie.
ISABELLE NIZET :
En effet, la dimension du jugement sur la performance d'autrui alors qu’on est
encore en apprentissage demande un espace de sécurité pédagogique. Comment as-tu pu le
créer?
MARIE-JOSÉE DUBOIS :
Le climat du cours en général, via les forums de discussion, était centré sur la
bienveillance, l’absence de jugement et le partage des différents points de vue. Cela a donc créé un climat
propice à la fin de la session pour développer une confiance dans les rétroactions qui allaient être
échangées. C'est pour ça aussi que je ne planifie pas ce genre d’activité en début de session.
Conclusion
Le croisement de perspectives des trois participantes dans cet entretien sur l’évaluation par les pairs à
l’aide du numérique a permis d’observer ses bénéfices et ses limites pédagogiques pour pouvoir
encourager sa mise en place dans d’autres contextes.
Du point de vue des bénéfices, l’utilisation du numérique ajoute une valeur à l’apprentissage et favorise le
caractère authentique de la tâche proposée aux personnes étudiantes. En effet, l’asynchronisme qui
pourrait être perçu comme un obstacle à la collaboration entre personnes étudiantes a, au contraire,
permis d’accroitre la valeur du jugement dans l’évaluation. La distance temporelle et physique a amené
les pairs évaluateurs à s’arrêter avant de poser leur jugement de manière franche et ainsi à éviter la
complaisance que l’évaluation par les pairs en présentiel pouvait engendrer. La communication écrite
asynchrone donne donc l’espace temporel requis pour comprendre et réfléchir à la réaction à exprimer et
pour formuler des rétroactions de manière à faire bien attention à l'autre (Hrastinski, 2008). Cette attitude
nourrit positivement le climat sociorelationnel de groupes restreints d’apprentissage en ligne. On peut ainsi
observer, dans la situation d’évaluation par les pairs présentée, une forme particulière de diaphonie
1
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Diaphonie : Intervention commençant par la reprise et la réinterprétation du discours d’un premier énonciateur permettant une transition vers
des idées originales.
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(Quintin et Masperi, 2010) comme marque de l’intégration mutuelle des propositions d’autrui dans les
échanges en ligne. Ainsi, l’évaluation par les pairs favorise l’intégration de la proposition initiale du pair
évalué au commentaire formulé sur la production par le pair évaluateur et en retour, les rétroactions du
pair évaluateur sont intégrées dans la régulation. En reprenant ainsi la voix de l'autre, au-delà de
l’expression de marques de liance habituelles (marques d'appréciation, d'empathie, de remerciements, les
vœux, etc.) qui traduisent une intention de bienveillance, le pair évaluateur peut offrir un commentaire au
pair évalué avec une intention de transformation qui caractérise une collaboration authentique. Cette idée
de diaphonie s’inscrit donc dans une logique de mutualité qui permet d’échapper au rôle sanctionnant que
tient habituellement la personne évaluatrice invitée à poser un jugement. Le dispositif de cette situation
d’évaluation par les pairs atténue la méfiance que la collaboration autour de l’évaluation suscite encore
beaucoup de la part des personnes enseignantes (Sayac, 2020; Younès et Faidit, 2020). Dans un contexte
de formation offert à des personnes enseignantes, lever les freins à l’analyse des pratiques évaluatives
professionnelles est crucial et a le potentiel de générer un transfert intéressant dans la pratique
professionnelle.
En revanche, l’asynchronisme n’a pas que des bénéfices, puisqu’il complexifie la planification et
l’organisation de la situation d’évaluation par les pairs en imposant le respect d’un échéancier strict aux
personnes étudiantes afin d’assurer la réussite de l’atelier Moodle caractérisé par un haut degré
d’interdépendance. Ainsi, un retard dans l’une ou l’autre des étapes a un impact majeur sur l’ensemble du
groupe. Les intentions de transfert, quant à elles, bien que très pertinentes du point de vue pédagogique,
sont limitées par la nature non directement transférable des outils numériques utilisés. Par conséquent,
Moodle ne s’avère probablement pas la plateforme à privilégier afin de motiver les personnes enseignantes
à vouloir reproduire la situation d’évaluation par les pairs dans son format numérique. Finalement,
l’élaboration des critères avec les personnes étudiantes est souhaitée et pourrait être possible en mode
asynchrone en exploitant les forums de discussions et en prévoyant un temps d’échange synchrone pour
assurer la construction commune de ces critères et optimiser la valeur pédagogique de cette pratique
évaluative.
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Listes de références
Bélisle, M., Lison, C. et Bédard, D. (2016). Accompagner le Scholarship of teaching and learning. Dans A. Daele et E.
Sylvestre (dir.), Le conseil pédagogique dans l’enseignement supérieur : cadres de références, outils d’analyse et de
développement (p. 75-90). Bruxelles, Belgique : De Boeck.
Durand, M.J. (2021). L’évaluation des compétences à l’école, dans la formation universitaire et en milieu professionnel :
40 ans d’expériences novatrices. Dans C. Barosso Da Costa, Leduc, D. et Nizet, I. (dir.), 40 ans de mesure et d’évaluation,
173-192. Presses de l’Université du Québec: Québec.
Hrastinski, S. (2008). Asynchronous and synchronous e-learning. Educause Quarterly, 31(4), 51-55.
https://er.educause.edu/articles/2008/11/asynchronous-and-synchronous-elearning
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