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Revue internationale sur le numérique en éducation et communication
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éducatives, où l’État finance des consortiums éphémères composés d’acteurs aux intérêts généralement
divergents.
Analysant un moment clé du processus de conception, nous avions déjà pointé les tensions découlant de
l’horizontalité qui caractérisait les relations entre membres du consortium et la difficulté que celui-ci avait
eue pour impulser une direction claire au projet (Cisel et al., 2017). Nous voulons ici élargir le propos en
nous situant à l’échelle du projet dans son ensemble, présentant ce faisant les différents modules du CNEC
et le rôle que chacun des acteurs a joué dans sa mise en place. Nous ne présenterons pas un protocole
précis ayant permis d’aboutir aux conclusions présentées dans cette contribution. Celles-ci ne découlent
pas à proprement parler d’une analyse de données, mais correspondent davantage à un ressenti forgé au
fil des réunions qui ont ponctué le projet, tout au long des trois ans qu’a duré notre participation au
consortium. Nous précisons brièvement, dans la prochaine section, les modes d’implication du laboratoire
dans le projet, renvoyant à des publications sur des dimensions précises du projet – comme une étude sur
les tableaux de bord numériques (Cisel et Baron, 2019a) – pour de plus amples développements sur les
méthodologies employées.
Participation des chercheurs au projet de conception
Les chercheurs impliqués dans le projet, tout au long du processus de conception, se sont placés dans
une logique de participation observante. Lors de notre participation aux réunions, nous avons porté une
attention particulière au choix des orientations technologiques et aux déterminants de ces choix
(Cisel et al., 2017). Nous observions le déroulement des réunions rassemblant l’industriel, les Savanturiers
et le laboratoire, et, plus rarement, les enseignants. Nous prenions des notes, collectant les objets
intermédiaires définis par Jeantet (1998) comme « un artefact construit par les acteurs du processus de
conception, fortement investi par ceux-ci et qui circule entre eux. L’objet intermédiaire représente, traduit
des idées et sert de médiateur et d’outil d’échange » (p. 292). Nous n’enregistrions pas les interactions
verbales au cours des réunions, cette modalité de travail interférant, selon les acteurs concernés, avec la
spontanéité nécessaire pour les échanges. Ont ainsi été documentées, pendant les trois années du
consortium, les nombreuses décisions qui, mises bout à bout, ont conduit à la forme finale du CNEC.
La section qui suit vise à présenter une synthèse de nos impressions, et plus précisément comment les
principaux acteurs du consortium ont influé sur le processus de conception.
Apports des différents acteurs du processus
de conception
Dans cette section, nous déclinons les apports et les modalités de contribution des quatre principaux
acteurs du projet : les chercheurs, l’industriel, les Savanturiers et les enseignants.
Un laboratoire de recherche, force de proposition
Au moins deux rôles ont été endossés par les chercheurs au cours du processus de conception. Nous
avons, d’une part, cherché à apporter un regard critique sur la conception, en soulignant les obstacles
engendrés par une approche inductiviste du processus de conception (Cisel et Baron, 2018) et, d’autre
part, réalisé un certain nombre de propositions en termes d’orientations technologiques possibles. En
particulier, nous avons proposé de construire sur la base des travaux de Quintana et al. (2004) une série
d’étayages visant à structurer les productions écrites des élèves lorsqu’ils proposent une hypothèse, par
exemple. Certaines de nos idées ont été réifiées dans le module du Brouillon de recherche, inspiré de
l’Hypothesis Scratchpad (Van Joolingen et de Jong., 1991), et du Knowledge Forum (Scardamalia et
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de l’Élève Chercheur (CNEC) : un laboratoire, une entreprise, un acteur de l’innovation en éducation – les
Savanturiers et des académies permettant aux concepteurs d’avoir accès à des enseignants susceptibles
de les conseiller et d’ouvrir aux tests utilisateurs leurs classes d’écoles primaires et de collèges. Ce
consortium s’est constitué pour répondre à l’appel à projets eFRAN, pour « espaces de Formation de
Recherche et d’Animation Numérique », financé par la Caisse des Dépôts et des Consignations. Il vise à
développer un EIAH dans le champ de l’enseignement scientifique, et plus précisément pour le programme
Savanturiers.
Fondé en 2014 par une ancienne professeure des écoles, le programme Savanturiers promeut, au sein
des cycles de l’enseignement primaire et secondaire, l’organisation de projets scientifiques de plusieurs
mois fondés sur la démarche d’investigation (Carosin et Demeuse, 2018; Pirone, 2018). Il insiste sur
l’importance qu’il y a à faire participer les élèves dans les questions qu’ils explorent. Certains auteurs ont
qualifié ce phénomène dans les travaux anglophones de Student-Question Based Inquiry (Herranen et
Aksela, 2019), que nous pouvons traduire par « démarche d’investigation fondée sur les questions des
élèves ». L’accompagnement des enseignants et des élèves par un mentor dans la conduite des projets
constitue l’une des caractéristiques saillantes du programme, qui propose chaque année à des chercheurs
en poste, des doctorants et des ingénieurs de devenir partenaires et de s’investir auprès d’enseignants
d’écoles primaires, de collèges et de lycées répartis sur l’ensemble du territoire, souvent au moyen
d’interactions à distance. L’expression d’Éducation par la Recherche (EpR) (Pirone, 2018; Carosin et
Demeuse, 2018) revient de manière régulière dans ses discours pour désigner les « projets de recherche »
miniatures. Les centaines de classes associées à ce programme peuvent être retrouvées dans l’ensemble
des académies françaises, des petites classes comme le cours préparatoire jusqu’à aux classes de lycée,
et dans tous les milieux socioéconomiques.
Le consortium remplit plusieurs des critères qui, selon les travaux consacrés à la conception d’EIAH
(Cukurova et al., 2019), font le succès d’un projet de conception : multiplicité des expertises et des
perspectives, financements pour l’ensemble des acteurs concernés, possibilité de tester les artefacts sur
le terrain. Néanmoins, les modalités de collaboration entre ces différents acteurs, parfois discutées dans
la littérature (Jean-Daubias, 2004), restaient des impensés au moment de la constitution des Savanturiers
du Numérique, ce qui, et c’est le centre de notre contribution, a affecté de manière négative le déroulé du
projet.
Articuler les perspectives contrastées et les difficultés de conception
La mise à l’épreuve des versions définitives du CNEC suggère qu’un grand nombre de difficultés
d’appropriation semblent découler de la multiplicité des points de vue et des discours d’acteurs qui
caractérisent le projet. Nous souhaitons préciser ici que nous n’établissons pas ici une correspondance
automatique entre incohérence de l’artefact et diversité des points de vue durant la conception. Nous
pointons en revanche le risque, en termes d’incohérence, que la multiplication des points de vue peut
engendrer lorsque le cadre qui régit les interactions entre acteurs est fragile, et que les objectifs ne sont
pas partagés.
Dans cette contribution pensée sous la forme d’un retour d’expérience de praticien, nous décrivons la
manière dont la diversité des perspectives qui caractérise le consortium a engendré des difficultés pour
les différents acteurs impliqués dans le projet et, en définitive, pour l’appropriation du CNEC par les
enseignants et les élèves. Nous nous inspirons ce faisant des nombreux travaux retraçant des projets de
développements d’EIAH (Luengo, 1999; Moons et De Backer, 2013), et en particulier de ceux dont la
focale porte sur les difficultés rencontrées, comme c’est le cas pour le projet Lirécrire
(Penneman et al., 2016). Plus généralement, nous visons à illustrer, par le truchement du cas du CNEC,
certaines des difficultés que peut engendrer ce modèle de développement de l’offre de technologies