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7, 2021
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Revue internationale sur le numérique en éducation et communication
Introduction
En 2017, encouragés par les autorités de l’Université de Liège, trois membres du Service de Didactique
du français langue étrangère (FLE) se sont lancés dans la conception d’un MOOC (Massive Online Open
Course) ou CLOM (cours en ligne ouvert et massif) à l’attention des (futurs) enseignants. Rappelons
d’abord quelles sont les grandes lignes directrices d’un MOOC et ses caractéristiques propres. Un MOOC
est un « cours » qui – comme tout autre cours – est limité dans le temps (celui dont il est question ici dure
huit semaines), avec une date de début et une date de fin, même si les contenus restent consultables aux
personnes inscrites au-delà de ces huit semaines. Ce cours est accessible « en ligne », partout et
n’importe quand, pourvu que les participants disposent d’une connexion à Internet. Ce dispositif tire profit
de tous les aspects du numérique pédagogique tels que le partage de ressources et d’exercices interactifs
et autocorrectifs, mais aussi d’espaces d’échanges et de collaboration, de forums écrits, audio et vidéo. Il
est « ouvert » à tous : l’inscription est gratuite, sans condition d’accès. Seule la certification est payante,
car elle nécessite une attention toute particulière de l’équipe pédagogique qui doit évaluer les copies de
l’épreuve certificative. Enfin, ce cours est « massif », dans le sens où il peut accueillir un nombre illimité
de participants. La majorité des activités peuvent être effectuées en complète autonomie et ne nécessitent
pas la présence et/ou l’encadrement permanent de l’équipe pédagogique.
L’Université de Liège avait développé trois MOOC avant celui-ci et une vingtaine d’autres ensuite. Ses
motivations à se lancer dans un tel projet étaient diverses : elle souhaitait expérimenter de nouveaux
formats, de nouveaux modèles pédagogiques, mais aussi créer une banque de données et d’outils pour
l’enseignement/apprentissage. Bien sûr, ces MOOC participent au rayonnement de l’établissement et de
ses différents acteurs, mais ils ont avant tout été pensés dans le cadre d’une mission d’enseignement
élargie, pour les étudiants ou les futurs étudiants de notre université (certains MOOC ont pour objectif de
les préparer à des examens d’entrée). Le MOOC « Moi, prof de FLE » est par exemple inscrit au
programme de trois formations proposées par l’Université de Liège
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et ses modules sont intégrés dans
sept cours différents. Bien entendu, le public visé ne se limite pas aux étudiants de l’Université de Liège :
s’il a été conçu pour eux, il profite également aux étudiants d’autres universités, aux enseignants des
milieux associatifs et aux (futurs) professeurs de FLE du monde entier.
Arrêtons-nous un instant sur l’orientation des sept modules thématiques. Dans le premier, on s’interroge
sur le rôle de la didactique du FLE, sur les imaginaires et les représentations liés au français, sur les façons
d’apprendre et d’enseigner une langue étrangère. Ensuite, on s’intéresse aux premiers cours et aux
méthodes de scénarisation d’une séquence pédagogique, avec ou sans le numérique. Le troisième
module se consacre à l’oral, à la prise de parole, aux choix des ressources audiovisuelles, avec une
attention particulière sur la prononciation et la méthode verbotonale. Le module suivant est quant à lui
consacré à l’expression et à la compréhension écrites. Les participants peuvent y découvrir différents outils
numériques pour écrire avec et pour les autres, ainsi qu’une séquence sur la place de la littérature dans
la classe de FLE. Ensuite, on passe à la grammaire, à l’apprentissage par essai-erreur, en analysant des
pratiques de classe et diverses ressources (manuels, grammaires…). Dans le sixième module, on
interroge les concepts de culture, de civilisation, d’interculturalité, de f/Francophonie, notamment en
analysant le contenu des rubriques « Culture » ou « Civilisation » de nombreux manuels de FLE. Le
dernier module est quant à lui consacré au français langue de scolarisation (FLSco), à la fois objet et
vecteur d’apprentissage, dans les cours de français, mais aussi dans les disciplines non linguistiques. Les
dispositifs d’accueil et d’accompagnement des élèves nouvellement arrivés sont au centre de ce dernier
Dans les programmes de la formation initiale des enseignants : master en langues et lettres françaises et romanes, orientation français
langue étrangère et de la formation continue : certificat en enseignement du français langue étrangère et seconde et certificat en
enseignement du français langue de scolarisation en contexte migratoire.
Introduction
En 2017, encouragés par les autorités de l’Université de Liège, trois membres du Service de Didactique
du français langue étrangère (FLE) se sont lancés dans la conception d’un MOOC (Massive Online Open
Course) ou CLOM (cours en ligne ouvert et massif) à l’attention des (futurs) enseignants. Rappelons
d’abord quelles sont les grandes lignes directrices d’un MOOC et ses caractéristiques propres. Un MOOC
est un « cours » qui – comme tout autre cours – est limité dans le temps (celui dont il est question ici dure
huit semaines), avec une date de début et une date de fin, même si les contenus restent consultables aux
personnes inscrites au-delà de ces huit semaines. Ce cours est accessible « en ligne », partout et
n’importe quand, pourvu que les participants disposent d’une connexion à Internet. Ce dispositif tire profit
de tous les aspects du numérique pédagogique tels que le partage de ressources et d’exercices interactifs
et autocorrectifs, mais aussi d’espaces d’échanges et de collaboration, de forums écrits, audio et vidéo. Il
est « ouvert » à tous : l’inscription est gratuite, sans condition d’accès. Seule la certification est payante,
car elle nécessite une attention toute particulière de l’équipe pédagogique qui doit évaluer les copies de
l’épreuve certificative. Enfin, ce cours est « massif », dans le sens où il peut accueillir un nombre illimité
de participants. La majorité des activités peuvent être effectuées en complète autonomie et ne nécessitent
pas la présence et/ou l’encadrement permanent de l’équipe pédagogique.
L’Université de Liège avait développé trois MOOC avant celui-ci et une vingtaine d’autres ensuite. Ses
motivations à se lancer dans un tel projet étaient diverses : elle souhaitait expérimenter de nouveaux
formats, de nouveaux modèles pédagogiques, mais aussi créer une banque de données et d’outils pour
l’enseignement/apprentissage. Bien sûr, ces MOOC participent au rayonnement de l’établissement et de
ses différents acteurs, mais ils ont avant tout été pensés dans le cadre d’une mission d’enseignement
élargie, pour les étudiants ou les futurs étudiants de notre université (certains MOOC ont pour objectif de
les préparer à des examens d’entrée). Le MOOC « Moi, prof de FLE » est par exemple inscrit au
programme de trois formations proposées par l’Université de Liège
et ses modules sont intégrés dans
sept cours différents. Bien entendu, le public visé ne se limite pas aux étudiants de l’Université de Liège :
s’il a été conçu pour eux, il profite également aux étudiants d’autres universités, aux enseignants des
milieux associatifs et aux (futurs) professeurs de FLE du monde entier.
Arrêtons-nous un instant sur l’orientation des sept modules thématiques. Dans le premier, on s’interroge
sur le rôle de la didactique du FLE, sur les imaginaires et les représentations liés au français, sur les façons
d’apprendre et d’enseigner une langue étrangère. Ensuite, on s’intéresse aux premiers cours et aux
méthodes de scénarisation d’une séquence pédagogique, avec ou sans le numérique. Le troisième
module se consacre à l’oral, à la prise de parole, aux choix des ressources audiovisuelles, avec une
attention particulière sur la prononciation et la méthode verbotonale. Le module suivant est quant à lui
consacré à l’expression et à la compréhension écrites. Les participants peuvent y découvrir différents outils
numériques pour écrire avec et pour les autres, ainsi qu’une séquence sur la place de la littérature dans
la classe de FLE. Ensuite, on passe à la grammaire, à l’apprentissage par essai-erreur, en analysant des
pratiques de classe et diverses ressources (manuels, grammaires…). Dans le sixième module, on
interroge les concepts de culture, de civilisation, d’interculturalité, de f/Francophonie, notamment en
analysant le contenu des rubriques « Culture » ou « Civilisation » de nombreux manuels de FLE. Le
dernier module est quant à lui consacré au français langue de scolarisation (FLSco), à la fois objet et
vecteur d’apprentissage, dans les cours de français, mais aussi dans les disciplines non linguistiques. Les
dispositifs d’accueil et d’accompagnement des élèves nouvellement arrivés sont au centre de ce dernier
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Dans les programmes de la formation initiale des enseignants : master en langues et lettres françaises et romanes, orientation français
langue étrangère et de la formation continue : certificat en enseignement du français langue étrangère et seconde et certificat en
enseignement du français langue de scolarisation en contexte migratoire.
module.
Chacun de ces modules est composé de capsules pédagogiques, d’entretiens avec des experts de notre
université et d’ailleurs, de vidéos tournées dans des classes (d’écoles primaires, du milieu associatif, de
notre Institut Supérieur des Langues Vivantes). Ces capsules sont souvent complétées par diverses
lectures et suivies de quiz et d’espaces d’échanges et de collaboration. Trois de ces modules comportent
en outre des activités d’évaluation par les pairs : les participants déposent un travail sur la plateforme et
reçoivent en échange deux ou trois copies à évaluer à l’aide d’une grille d’évaluation critériée.
À partir d’exemples concrets de ressources et de tâches pédagogiques, interrogeons maintenant la
médiation des savoirs induite par ce dispositif d’enseignement et d’apprentissage : quel est le potentiel
didactique du MOOC? Quels sont les effets du dispositif numérique sur le processus de médiation
(cognitive, relationnelle et langagière) des savoirs? Les enjeux d’une pédagogie renversée, où l’apprenant
est au centre de l’apprentissage et le numérique à son service, impliquent une (re)configuration des rôles
des acteurs du dispositif (apprenants, enseignants, tuteurs, animateurs) dans la médiation des savoirs et
l’évaluation des acquis d’apprentissage. Que la médiation soit humaine, technique (liée aux outils
d’échange et de collaboration) ou documentaire (vidéos et textes), le dispositif détermine la transposition
didactique (Chevallard et Joshua, 1991) : il vise à réduire la distance entre deux pôles (savoirs savants vs
enseignés; enseignant vs enseigné). Nous analyserons plus particulièrement les spécificités de l’écriture
communicationnelle et la polyphonie énonciative du discours de l’enseignant, ainsi que les types de tâches
individuelles et collaboratives et leur impact sur la coconstruction collaborative et ouverte des savoirs. Nos
analyses seront organisées autour des différents supports médias exploités dans le MOOC : vidéos et
textes, activités en solo et collaboratives. Des extraits et des illustrations issus du MOOC viendront étayer
notre propos.
Cadre notionnel
Médiation et médiologie
Selon Daniel Coste et Marisa Cavalli, la médiation renvoie à « toute opération, tout dispositif, toute
intervention qui, dans un contexte social donné, vise à réduire la distance entre deux (voire plus de deux)
pôles altéritaires qui se trouvent en tension l’un par rapport à l’autre » (2015, p. 28). Cette définition repose
sur l’idée d’un processus de médiation, dans un contexte donné, qui inclut et dépasse la dimension
langagière. Dans le cas du MOOC, le dispositif vise à réduire la distance entre au moins deux pôles : les
savoirs savants et les savoirs enseignés et/ou l’enseignant et le participant.
Notre réflexion s’inscrit dans la démarche médiologique, initiée par le philosophe Régis Debray (1991),
fondée sur l’idée que les outils techniques et la pensée ne sont pas dissociés, contrairement à ce que
sous-entend le terme « média » qui désigne seulement le support technique. Les lieux de production des
discours pédagogiques façonnent ces discours, mais aussi la transmission et la nature des savoirs. En
effet, l’objet technique a un potentiel didactique et l’innovation influence les comportements des formateurs
et des apprenants, mais aussi la nature même des contenus enseignés. Par exemple, la frontière entre
savoirs savants et ordinaires
est remise en question par le caractère « massif » de l’enseignement à
distance « ouvert à tous ». Les gestes professionnels et l’éthos (Maingueneau, 2002) de l’enseignant
universitaire sont déterminés par l’environnement numérique (« l’Hypersphère » chez Debray) qui agit
Sur ces questions, voir entre autres Rakotonoelina (2014).