Revue internationale sur le numérique en éducation et communication
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Ladiffusiondescoursuniversitairesen
direct:retoursuruneanciennenouveauté
1
Livestreamingforuniversitycourses:alookbackatanold
novelty
Transmitircursosuniversitariosendirecto:unamirada
retrospectivaaunaantiguanovedad
Claire Peltier, professeure adjointe
Université Laval, Canada
claire.peltier@fse.ulaval.ca
RÉSUMÉ
La diffusion des cours en direct est une tendance qui se dessine depuis quelques années
dans l’enseignement supérieur et a constitué une solution de choix pour la mise à distance
des cours universitaires durant la pandémie de COVID-19. Présentée comme une innovation,
la diffusion des cours en direct est pourtant loin d’être une nouveauté. Cet article se propose
d’aborder l’usage pédagogique de la captation vidéo à des fins de transmission et de diffusion
des savoirs sous l’angle de l’histoire de la formation à distance et des technologies éducatives,
ainsi que sous celui de l’innovation pédagogique. L’exemple de la mise en place, à travers
trois cours pilotes, d’un dispositif de diffusion des cours en direct à l’Universide Genève sera
analysé à l’aune des changements potentiels engendrés par l’introduction d’une nouveauté
dans la routine des pratiques.
Mots-clés :
diffusion des cours en direct, formation à distance, technologies éducatives,
usage pédagogique de la vidéo, innovation pédagogique, enseignement supérieur
1
Le présent texte reprend et réorganise de larges parties d’un rapport non publié que nous avons rédigé en 2019 à la demande du Rectorat de
l’Université de Genève afin d’évaluer le service de diffusion des cours en vue de sa généralisation.
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ABSTRACT
Live streaming has been a trend in higher education for several years and was a preferred
solution for the distance delivery of university courses during the COVID-19 pandemic.
Although presented as an innovation, live streaming is far from being a novelty. This article
proposes to approach the pedagogical use of video to transmit and disseminate knowledge
from the perspective of the history of distance learning and educational technologies and that
of pedagogical innovation. The example of implementing a live lecture broadcasting system at
the University of Geneva will be analyzed in light of the potential changes brought about by
introducing a novelty in the routine of practices.
Keywords:
live streaming, distance learning, educational technologies, pedagogical use of
video, pedagogical innovation, higher education
RESUMEN
La retransmisión en directo ha sido una tendencia en la enseñanza superior durante los
últimos años y fue la solución preferida para impartir cursos universitarios a distancia durante
la pandemia de COVID-19. Aunque se presenta como una innovación, la transmisión en
directo está lejos de ser una novedad. Este artículo propone abordar el uso pedagógico del
vídeo para la transmisión y la difusión de conocimientos desde la perspectiva de la historia de
la formación a distancia y de las tecnologías educativas, así como de la innovación
pedagógica. El ejemplo de implantación de un sistema de transmisión en directo de cursos
en la Universidad de Ginebra se analizará considerando los posibles cambios generados por
la introducción de una novedad en la rutina de las prácticas.
Palabras clave: difusión de cursos en directo, formación a distancia, tecnologías educativas,
uso pedagógico del vídeo, innovación pedagógica, educación superior
Introduction
Le monde des technologies éducatives est « pauvre en mémoire », disait Alain Chaptal (1996). Cette
formule illustre l’éternel recommencement auquel est soumise la sphère éducative dès lors qu’il s’agit de
questionner l’usage des technologies numériques. Ce « phénomène cyclique d’enchantement-
désenchantement »
2
, caractéristique de l’usage des technologies éducatives, se traduit par différentes
phases : tout d’abord un enthousiasme initial attribuant à la nouveauté technologique de nombreuses
vertus, puis une certaine forme de déception due à des attentes non remplies ou à des difficultés
inattendues, enfin la critique, voire le rejet, d’une innovation qui n’a pas tenu ses promesses. La
méconnaissance de l’histoire des technologies éducatives et, plus largement, de la formation à distance,
2
Chaptal fait ici référence aux travaux de Larry Cuban (1986, notamment).
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3
associée à une certaine forme de technocentrisme
3
permet d’expliquer bon nombre d’« échecs » en la
matière.
L’engouement actuel autour de l’usage de la vidéo dans l’éducation, notamment dans l’enseignement
supérieur (MOOC, classes inversées par exemple), n’échappe pas à cette règle. Pour illustrer cette
dynamique, nous prendrons appui sur une autre tendance, en lien avec l’usage de la vidéo, qui émerge
depuis les années 2000 : celle de la diffusion de cours en direct (live streaming en anglais) (Woolfitt, 2015;
O’Callaghan, Neumann, Jones et Creed, 2017). Depuis 2016, l’Université de Genève (Suisse) a
progressivement
4
mis en place un tel dispositif pour certains enseignements de première année de
baccalauréat universitaire afin de répondre à une problématique récurrente d’augmentation des effectifs
étudiants et de manque de place dans les salles de cours. La diffusion de cours en direct était initialement
présentée comme une innovation
5
. Toutefois, la nature de cette innovation demande à être questionnée.
À quel type d’innovation avons-nous affaire ? S’agit-il uniquement d’une innovation technologique destinée
à répondre à une difficulté d’ordre logistique et organisationnelle? Peut-il s’agir d’une innovation
(techno)pédagogique? À quelles conditions pourrait-on la considérer comme telle? C’est à ces différentes
questions que nous tenterons de répondre, tout en faisant référence à la continuité sociohistorique dans
laquelle s’inscrit l’usage de la vidéo à des fins pédagogiques. Afin de situer la problématique à laquelle
répond la mise en place d’un dispositif tel que la diffusion des cours en direct, nous aborderons tout d’abord
la question de la démocratisation et de la massification dans l’enseignement supérieur. Nous poursuivrons
avec quelques éléments de réflexion autour de l’innovation pédagogique avant d’évoquer l’histoire de la
télédiffusion des cours universitaires. L’exemple de la mise en place du service de live streaming à
l’Université de Genève sera ensuite analysé à l’aune de la question de l’innovation pédagogique
initialement évoquée, avant de conclure sur la nécessité de redonner une mémoire aux domaines de la
formation à distance et des technologies éducatives, à l’heure celles-ci sont sous le feu de nombreuses
critiques.
Démocratisation et massification de l’enseignement
supérieur
La massification de la population universitaire constitue un phénomène généralisé dans la plupart des
pays occidentaux depuis les années 1980 (Charle et Verger, 2012). Les réformes menées en Europe
pendant les années 1990-2000, notamment dans le cadre du processus de Bologne, ont contribué à
l’internationalisation des études, à la mobilité des étudiants, ainsi qu’à l’accroissement des effectifs.
L’augmentation de la population étudiante est susceptible de poser un certain nombre de problèmes
logistiques, notamment en matière de confort et de sécurité. Le nombre de places disponibles dans les
salles de cours est l’un d’entre eux. Cette difficulté récurrente oblige les établissements d'enseignement
supérieur à trouver des solutions. La massification ne s’appréhende toutefois pas uniquement à l’aune de
l’augmentation de la population étudiante. Elle se traduit aussi par une grande hétérogénéité à la fois
3
Par « technocentrisme », on peut entendre la propension à attribuer à la technologie toutes les vertus et à minimiser l’influence des facteurs
humains dans les effets escomptés et constatés (pour plus de détails sur l’opposition technocentrisme/anthropocentrisme dans l’activité
médiatisée, voir Rabardel, 1995).
4
La mise à distance de l’ensemble des cours durant le printemps et l’automne 2020, imposée par la crise sanitaire, a précipité sa généralisation.
5
https://www.unige.ch/lejournal/numeros/journal160/article-point-fort/
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4
sociale, culturelle et économique (Gruel, Galland et Houzel (dir.), 2009, cités par Endrizzi et Sibut, 2015,
p. 3). Dans ce contexte, repenser l’enseignement pour l’ajuster à cette nouvelle réalis’impose comme
une nécessité. Pourtant, comme le souligne Albero (2014, p. 28) :
Quand [la pédagogie universitaire] s’institutionnalise, c’est dans sa seule perspective pratique, en
vue de résoudre des problèmes de gestion des activités de flux d’étudiants et développer des
ressources appropriées. Les solutions attendues sont principalement fonctionnelles, locales,
économiques, peu perturbantes pour les structures et les habitudes.
C’est ainsi que sont souvent confondues innovations technologiques et innovations pédagogiques. Loin
d’être mutuellement exclusives, ces deux formes d’innovation et les conditions de leur articulation méritent
d’être regardées de plus près.
L’innovation technopédagogique dans l’enseignement
supérieur
La question générale de l’innovation et celle, plus spécifique, de l’innovation pédagogique ont fait l’objet
de longue date d’une nombreuse littérature dans différents domaines disciplinaires (économie, ingénierie,
sociologie, éducation, etc.)
6
. La problématique de l’articulation de la technologie, de la pédagogie et de
l’innovation dans l’enseignement supérieur a également donné lieu à une production scientifique
importante
7
.
Dans sa recension des écrits relatifs à l’enseignement supérieur et aux innovations pédagogiques,
Béchard (2001, p. 258) évoque la distinction opérée par Cros et Adamczewski (1996) entre réforme
(spécifiquement liée à des critères « d’efficacité et de rentabili »), novation (« liée à l’objet, à l’œuvre ou
au produit ») et innovation, laquelle « s’inscrit davantage dans un processus campé dans un contexte
donné ». Pour aller plus loin dans cette définition, le critère d’amélioration substantielle des apprentissages
des étudiants amené par Bédard et Béchard (2009) paraît pertinent à prendre en compte. Ce critère pose
toutefois la question de son évaluation et des indicateurs de référence pour mesurer cette amélioration. Il
s’agit à cet égard de dépasser les traditionnelles études comparatives « avec et sans » menées
généralement en mode expérimental ou quasi expérimental et qui, le plus souvent, amènent le chercheur
à la conclusion lapidaire : « no statistically significant difference »
8
. Il importe également de tenir compte
du fait que la perception d’une innovation tant du côté des enseignants que des étudiants et de
l’établissement s’avère particulièrement subjective (ce qui est innovant pour l’un ne l’est pas forcément
pour l’autre) et située (selon le contexte et surtout les pratiques individuelles courantes, la perception de
l’innovation ne sera pas similaire).
6
Pour une revue de synthèse approfondie du concept d’innovation dans une perspective pluridisciplinaire et de l’innovation pédagogique en
particulier, y compris, pour ce qui concerne la seconde référence ci-après, dans l’enseignement supérieur, voir Cros (1997) et Béchard (2001).
7
Voir, par exemple, l’ouvrage collectif dirigé par Charlier et Peraya (2002) intitulé Technologie et innovation en pédagogie. Dispositifs innovants
de formation pour l’enseignement supérieur.
8
C’est ce qui a d’ailleurs provoqué, dans les années 1990, le fameux débat entre Clark et Kozma qui a donné lieu à la formule lapidaire de
Clark (1994, p. 22) : « media are mere vehicle that deliver instruction but do not influence student achievement any more than the truck that
delivers our groceries causes changes in our nutrition ».
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Une autre difficulté apparaît lorsque l’on se penche sur la question plus spécifique de l’innovation
technopédagogique. De nombreux travaux menés autour de l’introduction des technologies (notamment
numériques) dans les activités d’enseignement et d’apprentissage abordent l’innovation sous un angle
plus empirique que théorique, en rendant compte d’implémentations locales plutôt réussies qui valorisent
le travail effectué et mettent en avant la satisfaction générale de ses acteurs et de ses bénéficiaires.
Toutefois, ces études génèrent une illusion récurrente au sein de la sphère éducative au sens large : celle
d’une filiation directe qui lierait de façon intrinsèque usage des technologies et innovation pédagogique.
De nombreux acteurs et notamment les décideurs institutionnels ont en effet tendance à attribuer
d’emblée à toute technologie nouvelle (ou « dernière-née », selon la formule de Jacquinot, 1977/2012,
p. XV), implémentée dans l’un ou l’autre rouage du processus d’enseignement et d’apprentissage, une
« valence d’innovation pédagogique » (Jacquinot, 1977/2012). L’exemple récent de l’engouement autour
des cours en ligne ouverts et massifs (MOOC ou CLOM) est, à ce titre, assez emblématique (voir Daniel,
2012).
Certains chercheurs comme Fluckiger (2018) n’hésitent d’ailleurs pas à dénoncer cette forme de naïveté
technodéterministe : « il n’y a aucune attestation empirique pas plus que de nécessité logique à ce que
l’innovation technologique entraîne une innovation pédagogique ». Et de poursuivre en insistant : « Il faut
le redire avec force car le paradigme déterministe, bien que maintes fois démenti continue, envers et
contre tous nos résultats de recherche, de constituer le cadre de pensée des décideurs, des marchands
et des discours médiatiques » (Fluckiger, 2018, §4 et 5).
On le voit, la question de l’innovation pédagogique, sa définition, ce que l’on peut en attendre et l’évaluation
de ses effets sont des questions complexes impliquant la considération de nombreux facteurs tels que
l’expérience personnelle des acteurs, leurs représentations des technologies, leur degré d’aisance
instrumentale, etc. La nécessité de distinguer la nature de l’innovation se pose de manière essentielle dès
lors qu’il s’agit d’en évaluer les effets. Albero, Linard et Robin (2009) proposent, à cet égard, une analyse
intéressante :
Si l’intégration des « TIC » est réduite à une affaire essentiellement technique, elle est assez
rapidement résolue et ne change rien à la structure du système existant. Si elle est posée comme
une question structurelle et organisationnelle, elle devient plus complexe, mais elle peut n’aboutir
qu’à un réaménagement de l’existant. Si elle est posée comme une question politique et
institutionnelle, elle peut être une chance pour l’université de répondre à des questions auxquelles
d’autres organisations pourraient répondre sans elle si elle ne s’y intéresse pas (p. 138).
Le modèle socio-organisationnel proposé par Prost (2013) et réinvesti par la suite par Peraya (2018)
dans une perspective destinée à décrire l’innovation technopédagogique reflète de façon plus
« modélisante » l’analyse d’Albero, Linard et Robin (2009). Prost (2013) propose ainsi de distinguer trois
niveaux de changements susceptibles d’atteindre la sphère éducative :
1) les changements mécaniques ne touchant ni à « l’architecture d’ensemble de l’organisation
concernée ni à ses principes de gouvernement »;
2) les changements organiques, lesquels « affectent en revanche l’architecture, l’organisation
d’ensemble, mais […] n’altèrent pas les principes de fonctionnement, la logique selon laquelle le
système se gouverne »;
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3) les changements structurels ou paradigmatiques qui « remettent en question les fondements,
les principes mêmes d’organisation et de gouvernement de l’institution » (Prost, 2013, p. 303-304,
cité par Peraya, 2018, §26).
La plupart des changements constatés à l’aune de l’introduction d’innovations technologiques et/ou
pédagogiques sont le plus souvent de nature mécanique ou organique (Peraya, 2018). L’auteur va plus
loin en considérant à ce titre que :
Le risque pour le processus d’innovation est sans aucun doute de voir certains de ces
changements mécaniques se figer et devenir à leur tour une nouvelle norme, comme c’est le cas
aujourd’hui pour les capsules vidéo produites pour les MOOC qui, dans leur très grande majorité,
ont sclérosé et renforcé dans une forme médiatique normalisée une conception transmissive,
instructionniste de l’enseignement universitaire (Peraya, 2017; Peltier et Campion, 2017)
(Peraya, 2018, § 23).
La question de savoir à quelles conditions une innovation technopédagogique peut engendrer un
changement de nature paradigmatique reste encore à examiner. L’une des pistes actuellement explorées
(Peltier, Peraya, Bonfils et Heiser, à paraître) consiste, d’une part, à considérer la résistance « naturelle »
des établissements d’enseignement au changement (Barouch, 2011) et, d’autre part, à envisager la mise
à l’épreuve de l’innovation à travers un processus d’assimilation destiné à la rendre compatible avec les
pratiques ancrées. En d’autres termes, la « menace » que peut faire peser l’introduction d’une nouveauté
dans la routine des pratiques et l’inconfort que cette menace génère peut être réduite par une forme
d’accommodation qui consiste à n’ajuster que le nécessaire pour ne pas perturber l’ensemble. Cette forme
d’« institutionnalisation » des innovations est décrite par Céci (2018, §6) comme « une légère adaptation
structurelle au "désordre" créé par l’innovation pédagogique ». Les quelques exemples suivants proposés
par Albero, Linard et Robin (2009, p. 148-149) illustrent bien ce point de vue : « les supports
technologiques sont devenus d’usage courant pour les fonctions ordinaires d’administration (gestion des
inscriptions, évaluations, certifications) et pour la diffusion électronique des informations et
communications institutionnelles ». Les formations dites hybrides (auxquelles on pourrait associer les
MOOC aujourd’hui
9
) jouent, selon les auteurs, « un rôle d’argument promotionnel ou de vitrine de
modernité, sans pour autant entraîner de transformation profonde des modes traditionnels d’enseignement
sur les campus ». Après cette première entrée en matière, venons-en à présent à ce qui constitue l’objet
de ce texte : la diffusion de cours en direct.
La télédiffusion de cours universitaires :
une histoire déjà déjà longue
La diffusion de cours en direct (ou « télédiffusion » selon la terminologie première) n’est pas une nouveauté
dans le paysage académique. Dans son ouvrage consacré à l’histoire de la formation à distance, Glikman
(2002) rappelle que ce que l’on désignait alors comme « la télévision éducative » est née dans les années
9
Non pas pour leurs caractéristiques technopédagogiques, mais pour les conditions de leur développement, notamment du point de vue de leur
promotion institutionnelle.
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1960 sous l’impulsion, en ce qui concerne la France, d’une volonté politique visant à « pallier les
déficiences du système scolaire et, dans une moindre mesure, universitaire, en matière de locaux et
d’enseignants » (Glikman, 2002, p. 170). Qualifiée d’« enseignement de la seconde chance », la formation
à distance d’alors est principalement destinée à la formation d’adultes dans une perspective de lutte contre
les inégalités sociales.
L’une des premières initiatives mondiales de diffusion de cours universitaires en direct est le fait du
Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) à Paris. Dès 1963, certains des cours magistraux
dispensés au CNAM sont diffusés en direct, d’abord sur circuit fermé retransmis dans des centres
régionaux, puis sur le réseau hertzien. Destinés à être suivis par un public dit « empêché »
10
, ces cours
sont d’abord retransmis dans leur forme simple cours fil »), puis font l’objet de « mises en images
plus élaborées » (« petit groupe d’apprenants qui dialoguent avec l’enseignant ») (Glikman, 2002, p. 176).
Les années 1970 verront la mise en place d’initiatives similaires ailleurs en France
11
, mais aussi en
Grande-Bretagne, en Allemagne, au Canada et aux États-Unis
12
. Beaucoup de ces projets seront
abandonnés, notamment pour des raisons de coûts de diffusion. L’avènement du Web dans les années
1990 change la donne et permet, entre autres, la mise en place d’une diffusion en flux continu (ou
streaming)
13
. Le début des années 2000 est marqué par la généralisation des plateformes pour
l’enseignement et l’apprentissage à distance et la naissance d’un véritable « marché » de l’e-learning
14
.
L’irruption de ces plateformes dans le paysage universitaire rendra possible la médiatisation d’un
ensemble de fonctions génériques des dispositifs de formation : gestion, information, interaction,
production, évaluation, métaréflexion, présence sociale (ou awareness) (Peraya, 2008). Dans la plupart
des cas toutefois, seule la fonction d’information est exploitée par les enseignants
15
. C’est-à-dire que les
étudiants ont accès à des éléments de contenu du cours (diaporamas, syllabus, lectures, etc.), mais ne
sont pas engagés à utiliser la plateforme comme un espace de travail, de production et/ou d’interaction
16
.
Il s’agit là d’un premier exemple illustrant le fait qu’une innovation technologique peut, contrairement à ce
qui est souvent mis en avant, renforcer, voire engendrer un retour à des pratiques d’enseignement
exclusivement transmissives.
Si la captation et la mise à disposition des cours enregistrés sont un service offert aujourd’hui par de
nombreuses universités (Peltier, 2016a), la diffusion des cours en direct était encore peu généralisée
10
Paquelin (2014) donne des étudiants « empêchés » la définition suivante : « dans l’incapacité de se rendre sur le campus pour suivre les
cours magistraux et assister aux travaux dirigés en présentiel ».
11
D’après Glikman (2002), plusieurs universités (Strasbourg, Dijon, Nancy et Grenoble) s’appuieront ainsi sur le réseau de la troisième chaîne
nationale (FR3) et sur ses relais régionaux pour proposer la télédiffusion de cours destinés à des étudiants « empêchés » de premier cycle.
12
Pour en savoir plus, voir Glikman (2002, p. 181-183).
13
Voir Mortensen, Schlieve et Young (2000) pour les détails techniques de ces premières mises en place.
14
Voir le répertoire des « plateformes de e-learning et de e-formations » tenu et mis à jour sur Thot Cursus depuis le début des années 2000 :
https://cursus.edu/formations/17676#.XYEDpH_gqM8
15
Plusieurs études, dont une menée à l’Université de Genève auprès de la Faculté des sciences (Peltier, 2010), font état de ces usages limités
des plateformes d’enseignement et d’apprentissage. Un pointage ultérieur en 2013 effectué sur l’ensemble des facultés de l’Université de
Genève a montré que la situation n’avait pas beaucoup évolué depuis (résultats non publiés).
16
C’est ce que l’on a également pu observer durant les périodes de fermeture des universités en 2020 avec une mise à distance des cours
universitaires centrée avant tout sur la médiatisation des contenus.
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jusqu’aux événements liés à la pandémie de COVID-19
17
. Jusqu’alors, la diffusion en direct était
généralement réservée aux « grands événements » (conférences de prestige, remise de diplômes,
événements institutionnels). Certaines universités
18
ont toutefois étendu cette pratique à la retransmission
en direct de cours magistraux.
La diffusion de cours en direct se met souvent en place dans la continuité d’un service de captation et
d’archivage de cours (Mullins-Dove, 2006, p. 69). C’est le cas, par exemple, de l’Université de Genève qui
a développé ce dispositif dans le prolongement du premier et qui utilise la même infrastructure d’accès et
d’archivage (Mediaserver) pour les deux types d’enregistrement (cours enregistrés et diffusés a posteriori
et cours diffusés en direct et archivés). On pourrait dès lors être tenté de considérer ces deux services
comme un ensemble et les analyser comme tel, tant sur le plan de leur intérêt pour l’apprentissage que
sur celui des actions d’accompagnement à mettre en place pour favoriser leur appropriation. Or il convient
de les différencier sur certains points. Tout d’abord parce que les conditions d’usage ne sont pas les
mêmes
19
, mais surtout parce que le caractère synchrone des cours diffusés en direct constitue une
occasion particulière d’amener les enseignants à se préoccuper de la façon d’intégrer les étudiants
distants.
Tout comme la diffusion des cours en direct, l’enregistrement et l’archivage des cours universitaires sont
un service qui, lui aussi, existait avant l’avènement des technologies numériques. Par exemple, l’Université
de Genève enregistrait déjà, dès 1970, sur des cassettes audio analogiques, la plupart des cours donnés
par sa Faculté des lettres (Burdet, Bontron et Burgi, 2007; Peltier, 2016a). Il paraît intéressant de rappeler
que cette initiative reposait sur une contrainte, mais aussi sur une nécessité. Tout d’abord, il s’agissait de
permettre aux étudiants de suivre tous les cours de leur programme d’études, ce qui, pour certains d’entre
eux en fonction de leurs choix spécifiques, s’avérait difficile en raison du chevauchement de certains
horaires de cours. Les étudiants concernés pouvaient donc se rendre à la médiathèque de l’Université
pour écouter a posteriori l’enregistrement sur place ou emprunter les cours manqués. Ce projet répondait
également à une volonté institutionnelle de conserver une trace de ses cours les plus emblématiques.
17 Compte tenu des réactions négatives liées à des expériences d’enseignement et d’apprentissage insatisfaisantes (du fait, notamment, de la
centration sur les contenus et d’un mode de communication avant tout transmissif et diffusionnel), il est peu probable que cette généralisation
se maintienne.
18
En Australie (par exemple Macquarie University), au Canada (par exemple University of Regina), au États-Unis (par exemple University of
Central Florida), en Grande-Bretagne (par exemple University College London et University of new England). En France, l’Université Paris Sud
(Saclay) propose un tel service depuis plusieurs années, ainsi que l’Université Pierre et Marie Curie, l’Université Paris Est (Créteil) et l’Université
d’Angers. Cette liste n’est pas exhaustive.
19
Pour l’une des deux modalités, l’écoute se fait en temps quasi réel, tandis que pour l’autre, l’écoute se fait en différé. Si la manipulation
(appuyer sur pause, revenir en arrière) est possible dans les deux cas, la modalité live streaming permet toutefois moins de liberté à cet égard.
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La diffusion des cours en direct : l’exemple de
l’Université de Genève
Le projet « Live streaming » a démarré en 2016 à l’Université de Genève
20
avec la diffusion de trois cours
21
de première année de baccalauréat universitaire. Chacun de ces cours concerne un domaine d’études
différent : la médecine, le droit et l’économie. Il s’agit de cours d’introduction générale, dont le suivi est
obligatoire, et qui présentent la particularité de s’adresser à de très grands groupes d’étudiants (entre 500
et 700 selon les années). Si ces trois enseignements s’apparentent à des cours magistraux classiques
(déroulement en auditoire sous la forme d’exposés réalisés par l’enseignant), l’approche pédagogique
adoptée (notamment en matière d’activités d’apprentissage et de nature des interactions proposées aux
étudiants) est toutefois différente d’un cours à l’autre, comme nous le verrons plus bas.
À la différence des cours enregistrés et mis à disposition a posteriori, les trois cours diffusés en direct
proposent l’image de l’enseignant en petit médaillon au coin de l’écran. La littérature n’apporte pas de
réponse univoque quant à la pertinence de conserver à l’écran l’image de l’enseignant lors d’un cours à
distance. Homer, Plass et Blake (2008) ont par exemple établi que, dans les conditions expérimentales
qu’ils ont mises en place, la présence ou l’absence de l’incrustation vidéo du visage de l’enseignant ne
générait aucune différence significative sur l’apprentissage (mémorisation et compréhension
22
). Dans leur
étude, les auteurs rendent également compte du fait que la présence conjointe de l’image, du son et du
texte (diaporama) peut générer une surcharge cognitive
23
. Plusieurs études (par exemple Kizilcec,
Papadopoulos et Sritanyaratana, 2014) évoquent toutefois la préférence des étudiants pour la modalité
combinée image, son et visage de l’enseignant face in video instruction »). Cette préférence peut
s’expliquer par la nécessité de la présence sociale, quelle que soit la situation d’enseignement et
d’apprentissage, mais particulièrement en formation à distance (Peraya, Charlier et Deschryver, 2014).
Tout comme cela est le cas pour les cours enregistrés, la diffusion des cours en direct est automatique et
ne requiert aucune intervention particulière de l’enseignant. Toutefois, selon le déroulement du cours et
les activités envisagées, quelques aménagements peuvent s’avérer nécessaires. Par exemple, deux des
enseignants impliqués dans la phase pilote du projet avaient pour habitude préalable l’utilisation de
Pingo
24
, un dispositif interactif de vote en ligne. La présence des étudiants connectés à distance a
demandé un ajustement dans la gestion des activités de vote afin de leur permettre de participer aux
exercices proposés au même titre que les étudiants présents dans l’auditoire. On observe en effet un léger
décalage (une vingtaine de secondes environ) entre ce qui est dit dans l’auditoire et ce qui est diffusé.
Concrètement, il s’agit avant tout de prévoir un temps de latence suffisant entre le moment où la question
est posée et le moment où les étudiants répondent, afin de permettre à l’ensemble d’entre eux de prendre
connaissance de la question et de donner leur réponse. Les questions adressées aux étudiants peuvent
20
Notons que l’Université de Genève est la première en Suisse à s’être dotée d’un tel dispositif.
21
À partir de 2019, le dispositif a été étendu à tous les cours de médecine de première année, puis à d’autres cours de différentes facultés.
22
« Recall was tested using multiple-choice questions and transfer was tested using short-answer questions » (Homer, Plass et Blake, 2008,
p. 790)
23
Il s’agit du phénomène de partage attentionnel (ou split attention effect) qui a été abondamment documenté, notamment par Moreno et Mayer
à partir de la fin des années 1990.
24
https://trypingo.com/ (logiciel open source permettant le vote interactif et développé par l’Université de Paderborn, Allemagne).
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prendre la forme de questions à choix multiples ou de questions à réponses ouvertes avec l’affichage d’un
nuage de mots dont la taille est relative à la fréquence des termes contenus dans les réponses données.
Quelle forme d’innovation pédagogique?
Une première évaluation du dispositif menée par Cacault, Hildebrand, Laurent-Lucchetti et Pellizzari
(2019) a montré que la mise en place de ce service a permis de diminuer le nombre d’étudiants présents
dans les auditoires d’environ 10 %, ce qui constituait, rappelons-le, l’objectif de la mise en place de la
diffusion des cours en direct. L’étude a également montré que ce dispositif a avant tout profiaux étudiants
tenus pour performants
25
et a, au contraire, défavorisé les étudiants considérés comme moins
performants
26
. Conformément à ce qui avait déjà été observé quant aux usages des cours enregistrés
(notamment par Peltier, Peraya, Grenon et Larose, 2016), l’étude a également permis de souligner que
l’usage qu’en font les étudiants s’apparente plus à un usage supplétif (rattraper un cours manqué) qu’à un
usage de substitution (ne plus se rendre en cours et le suivre uniquement selon cette modalité).
La diminution limitée du nombre d’étudiants présents dans les auditoires à la suite de l’implémentation de
dispositifs tels que l’enregistrement des cours et/ou leur diffusion en direct peut s’expliquer par certains
éléments que les études et les enquêtes n’abordent pas toujours. L’étude menée par Peltier, Peraya,
Grenon et Larose (2016) a souligné une moindre propension des étudiants à faire usage des cours
enregistrés lorsque les enseignements présentiels présentent une composante interactive élevée
27
. Il
semblerait donc que plus un enseignant favorise les interactions en face à face, voire les intègre au
scénario de cours en prévoyant des activités d’apprentissage, notamment collaboratives, moins les risques
de voir les auditoires se vider sont élevés lorsque les cours sont enregistrés. L’étude a également pointé
le fait que même dans le cas d’un cours magistral ne comportant que des interactions minimales, les
étudiants conservent leur attachement au cours présentiel pour des raisons que l’on pourrait qualifier de
socio-affectives. En effet, se rendre en cours, ce n’est pas seulement suivre un enseignement, c’est aussi
rencontrer ses pairs, s’approprier et exercer son « métier d’étudiant » (Coulon, 1997/2005), profiter des
infrastructures (cafétéria, bibliothèques, espaces de travail), etc.
Si la question de l’impact que pourrait avoir la mise à disposition des cours enregistrés et, par extension,
la diffusion des cours en direct sur l’assiduité des étudiants fait encore souvent débat, il semblerait
toutefois que la plupart des résultats convergent vers le constat qu’un tel dispositif n’a pas d’effet particulier
sur la présence ou l’absence des étudiants. Les éventuelles différences observées pourraient toutefois
25
L’indicateur utilisé pour qualifier la performance des étudiants (high ability students et low ability students) a été établi sur la base des résultats
obtenus à la fin de l’école secondaire supérieure et donc à l’entrée à l’université.
26
La littérature (notamment, Jézégou, 2008; Cosnefroy, 2012) a montré de longue date l’importance de l’autonomie et de l’auto-régulation dans
les apprentissages. Celles-ci sont d’autant plus nécessaires en situation de formation à distance. Ainsi, les étudiants qui sont déjà dotés de
telles compétences ne présentent pas les mêmes difficultés que les étudiants qui ne les ont pas encore acquises. Or la question de l’autonomie
dans les apprentissages est souvent considérée comme un « allant de soi » qui ne nécessite pas d’être accompagnée.
27
L’étude menée par Peltier, Peraya, Grenon et Larose (2016) a, par exemple, montré que : « Les étudiants rapportent l’importance que revêtent
pour eux les activités présentielles : utilisation de boîtiers de vote interactifs, travaux collaboratifs, utilisation de la visioconférence, etc. Le cours
74111 scénarise les séances présentielles, autant que les phases à distance. Dans cette perspective, l’enregistrement des séances de cours
lui fait perdre une grande partie de son intérêt; l’essentiel se déroule en présence, notamment à travers les activités collectives, les interactions,
les productions collaboratives en ligne, etc. » (p. 69).
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être mises sur le compte des caractéristiques propres aux cours, ce qui, malheureusement, est rarement
étudié dans les recherches consacrées à ces questions
28
.
Selon les enseignants concernés par la phase pilote du projet
29
, la diffusion des cours en direct n’a pas eu
d’impact particulier sur le travail de préparation et le déroulement des cours. Ce constat général d’un
« changement dans la continuité », qui pourrait paraître décevant au regard de la promesse de
renouvellement des pratiques pédagogiques traditionnellement mise en avant lors de l’implémentation
d’initiatives de ce genre, constitue au contraire, aux yeux de ses promoteurs, un argument pour rallier
l’ensemble du corps enseignant à l’adoption du dispositif. On peut en revanche se questionner sur l’impact
(positif ou négatif) qu’un tel dispositif pourrait avoir sur les étudiants.
Nous avons souligné plus haut que pour être considérée comme une innovation pédagogique, une
nouveauté devrait procurer une amélioration substantielle à l’apprentissage (pour autant que l’on en
définisse les contours et la façon d’en appréhender les effets). Dans cette perspective, on peut se
questionner sur ce qui, dans la diffusion des cours en direct, relève d’une innovation (techno)pédagogique.
Indéniablement, et les résultats empiriques
30
et expérimentaux
31
en attestent, l’implémentation de ce
dispositif à l’Université de Genève a contribué à résoudre (partiellement et provisoirement du moins)
le problème de la surcharge des auditoires. On peut donc considérer que d’un point de vue logistique et
organisationnel, le dispositif a tenu ses promesses. On peut également considérer que le confort d’étude
fait partie intrinsèque du processus d’apprentissage et qu’à ce titre l’impact positif de la diffusion des cours
en direct sur la fréquentation des auditoires représente une amélioration des conditions d’apprentissage
32
.
La diversification des modalités d’accès à l’information et la flexibilité en matière de suivi des cours
constitue également un plus pour les étudiants.
Il convient toutefois de lever toute ambiguïté sur le fait que la diffusion des cours en direct ne constitue
qu’une forme rudimentaire de cours à distance et ne peut être véritablement considéré comme tel, que la
réécoute d’un cours a posteriori, si elle peut présenter un certain nombre d’avantages (combler une
incompréhension, rafraîchir un souvenir imprécis, rattraper un cours manqué, etc.), comporte également
un certain nombre de risques (par exemple la procrastination
33
) et de désagréments (comme un temps
d’écoute plus long dû à la possibilité de manipuler l’enregistrement).
28
Il s’agit là de l’une des difficultés soulignées précédemment : les recherches portant sur les effets des technologies ne tiennent souvent pas
compte du contexte et de ses spécificités, notamment des spécificités pédagogiques (approche, activités, orientation, etc.) des cours observés.
29
Communications personnelles (juin 2019).
30
Ceux des observations menées par la Faculté de médecine.
31
Ceux de l’étude publiée par Cacault, Hildebrand, Laurent-Lucchetti et Pelizzari (2019).
32
Dans leur étude déjà citée à plusieurs reprises, Cacault, Hildebrand, Laurent-Lucchetti et Pelizzari (2019) évoquent d’ailleurs des « pics »
d’utilisation du live streaming lorsque la météo est défavorable students are almost twice as likely to log into the streaming platform on bad
days than on regular days » (p. 20)) et n’encourage sans doute pas le déplacement extérieur. Une mesure similaire a été appliquée aux
périodes d’épidémie de grippe et a montré également un lien significatif.
33
La littérature (notamment Nadeau, Senécal et Guay, 2003, p. 97) a montré que « la procrastination académique est un comportement répandu
et nuisible au cheminement et au succès académique des étudiants de tous les niveaux ». Elle est également considérée comme un indicateur
de difficultés en matière d’autorégulation des apprentissages (Jézégou, 2019).
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Pour en revenir à la qualification de l’innovation que pourrait constituer la diffusion des cours en direct, on
pourrait considérer, en s’appuyant sur le modèle de Prost évoqué plus haut et en prenant appui sur
l’exemple présenté, que l’on se situe vraisemblablement ici dans une forme de changement de type
mécanique (aucune modification autre que celle de rendre disponible un enregistrement afin de permettre
aux étudiants de suivre le cours à distance), voire organique (aménagement du déroulement du cours en
tenant compte du léger décalage temporel de la diffusion lors des activités de vote interactif). Un
changement de type paradigmatique entraînerait, comme son nom l’indique, une modification du modèle
de référence, et donc un changement dans la manière de concevoir et de pratiquer l’enseignement. Dans
ce contexte précis, cela impliquerait sans doute une autre façon d’envisager la coprésence d’étudiants en
auditoire et à distance (notamment en matière d’interactions, d’activités d’apprentissage,
d’accompagnement, de scénarisation, etc.). L’émergence récente des cours comodaux (ou HyFlex
courses en anglais) constitue sans nul doute une perspective à suivre dans la mesure , dans sa
conception initiale (Beatty, 2006 et 2007), un cours comodal doit offrir aux étudiants des activités
d’apprentissage équivalentes, quelle que soit la modalide participation choisie, aucune ne constituant
un étalon par défaut : présentiel, distance synchrone, distance asynchrone. L’organisation d’activités
d’apprentissage (discussions, études de cas, évaluations formatives, etc.) constitue donc une
caractéristique constitutive d’un cours comodal.
Comme nous l’avons souligné à travers notre revue de la littérature consacrée à l’innovation pédagogique,
la diffusion des cours en direct peut donc venir s’inscrire dans la continuité de pratiques d’enseignement
éprouvées et appréciées comme telles par un enseignant et ses étudiants sans les modifier pour
autant. Cela ne constitue évidemment pas un point négatif, mais illustre, si besoin était, que l’introduction
d’un élément nouveau dans un processus déjà bien ancré peut aisément être accommodée sans perturber
l’ensemble. En revanche, accompagner la mise en place d’un tel service par une incitation à la réflexion
autour des pratiques d’enseignement et au partage formel et informel de pratiques avec d’autres constitue
une occasion intéressante de faire évoluer les pratiques d’enseignement à l’université. Il convient
également de ne pas considérer l’autonomie des étudiants face à de nouvelles modalités d’apprentissage
comme un allant de soi, mais comme un impératif à accompagner.
Conclusion
Depuis le début de la crise sanitaire mondiale de COVID-19 en mars 2020, la formation à distance et
l’usage pédagogique des technologies numériques sont au centre de nombreuses préoccupations.
Toutefois, la propension à considérer la formation à distance comme le pis-aller de la formation présentielle
classique
34
, assortie d’une vision « mécaniste » des technologies, contribue malheureusement à la
cristallisation de représentations erronées qui risquent de desservir à long terme la formation à distance.
Souligner sans relâche que la mise à distance totale ou partielle d’un dispositif de formation nécessite
davantage que la médiatisation des contenus d’apprentissage (et, dans le meilleur des cas, des
évaluations), c’est rappeler qu’au cours de son histoire, la formation à distance a connu différents
développements et qu’aujourd’hui c’est l’ensemble des fonctions propres à tout dispositif de formation
34
Dans une interview donnée à France Info le 26.11.2020, le président de l’Université de Strasbourg qualifiait le « télé-enseignement » de
« bonne roue de secours » qui ne « remplacera jamais le présentiel ». (https://tinyurl.com/4m3hynku)
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(Peraya, 2008) qu’il convient de médiatiser afin d’offrir aux apprenants une expérience d’apprentissage
riche et engageante fondée sur un paradigme centré sur l’activité et les interactions. À l’heure l’on
évoque abondamment, et à juste titre, le lien pédagogique et le lien social comme étant des conditions
sine qua non de l’apprentissage, les dispositifs de formation à distance mis en place sont pourtant
invariablement centrés sur les contenus dans une perspective transmissive et diffusionnelle des savoirs.
Il y a une contradiction qui n’est pas le fait de la formation à distance et des technologies numériques,
mais de connaissances limitées en la matière et fondées sur le sens commun. La réhabilitation de l’histoire
du domaine comme une source indispensable aux réflexions d’aujourd’hui et de demain permettrait
d’aborder les innovations de manière beaucoup plus fine et, surtout, éclairée.
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