Revue internationale sur le numérique en éducation et communication
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Lesusagesdesressourcespédagogiques
numériquesparlesétudiants
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cycleuniversitaire
Unedistributionparfilièred’étudeetannéedeformation
Usesofdigitaleducationalresourcesbyundergraduate
students:Adistributionbyfieldofstudyandyearoftraining
Usosdelosrecursoseducativosdigitalesporpartedelos
estudiantesuniversitariosdeprimerciclo:unadistribución
pordisciplinayañodeformación
Emmanuel Brandl, Ingénieur de recherche
École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), France
emmanuel.brandl@enssib.fr
RÉSUMÉ
Rares sont les enquêtes sociologiques qui analysent l’influence de la discipline, entendue
comme « matrice disciplinaire » (Lahire, 1998), dans la structuration et la différenciation des
pratiques étudiantes. Pourtant, la matrice disciplinaire est déterminante en ce qu’elle est une
instance de socialisation qui structure les manières d’étudier. Ces enquêtes mettent pourtant
en évidence un usage différencié des ressources pédagogiques selon la discipline (notes de
cours, photocopies, articles, ouvrages…). Ce qui n’est pas sans intérêt : focaliser son attention
sur les conditions d’appropriation des ressources pédagogiques prend une acuité particulière
quand on sait qu’il s’agit in fine des conditions d’appropriation des savoirs disciplinaires,
lesquelles sont déterminantes dans la réussite ou non des cursus universitaires. Cependant,
ces enquêtes ont été menées à des moments où ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le
« numérique », et notamment le numérique pédagogique, n’était pas ou peu développé,
surtout à l’université. Quelle est alors l’influence du numérique sur ces logiques disciplinaires?
Seraient-elles dépassées par le numérique? L’article interroge en creux les logiques par
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lesquelles les dispositifs et contenus numériques sont pensés à l’université : une offre qui
ferait l’économie d’une analyse des principes de différenciation internes à l’université ne serait-
elle pas vouée à n’avoir qu’un impact limité?
Mots-clés :
discipline, matrice disciplinaire, ressources pédagogiques, numérique, licence,
filière d’étude, année de formation
ABSTRACT
Few sociological surveys have analyzed the influence of the « disciplinary matrix » (Lahire,
1998) in the structuring and differentiation of students' practices. Nevertheless, the disciplinary
matrix is decisive as it is a force of socialization that structures the studying methods.
According to the discipline (e.g. course notes, photocopies, press articles, books), these
surveys specifically highlight a differentiated use of educational resources. This is not without
interest: focusing our attention on the conditions of appropriation of educational resources
takes on particular significance. We know that ultimately the conditions of appropriation of
disciplinary knowledge are at stake, a determining factor in completing university courses.
However, these surveys have been carried out at times when what is commonly known today
as the "digital media," and particularly "educational digital media", were, if not developed at all,
at least under-developed, especially at university. What then is the influence of digital media
on these matrix logics? Would they be outdated, thanks to digital media? The article implicitly
questions the logics through which digital devices and contents are considered at university:
would an offer eluding an analysis of the differentiation principles internal to the university be
bound to limited impact?
Keywords:
disciplinary matrix, educational resources, digital media, bachelor's degree, field
of study, training year
RESUMEN
Son raras las investigaciones sociológicas que analizan la influencia de la «matriz
disciplinaria» (Lahire, 1998) en la estructuración y diferenciación de las prácticas estudiantiles.
Sin embargo, la matriz disciplinaria es determinante, ya que es una instancia de socialización
que estructura las maneras de estudiar. Estas encuestas ponen precisamente en evidencia
un uso diferenciado de los recursos educativos según la disciplina (apuntes, fotocopias,
artículos, obras…). Este aspecto es interesante: fijar su atención en las condiciones de
apropiación de los recursos didácticos adquiere una importancia particular cuando se sabe
que se trata al fin y al cabo de las condiciones de apropiación de los conocimientos
disciplinarios, que son determinantes en el éxito o en el fracaso de los estudios universitarios.
Sin embargo, debe tenerse en cuenta que estas encuestas se llevaron a cabo en un momento
en que lo que llamamos actualmente “digital” o específicamente “digital didáctico” no estaba
o estaba poco desarrollado, sobre todo en la universidad. ¿Cuál es entonces la influencia de
los elementos digitales sobre estas lógicas matriciales? ¿Serían superadas gracias a los
elementos digitales? El artículo cuestiona en profundidad las lógicas con las que los
dispositivos y contenidos digitales se piensan en la universidad: ¿una oferta que no considere
un análisis de los principios de diferenciación internos en la universidad no estaría destinada
a tener un impacto limitado?
Palabras clave:
disciplina, matriz disciplinaria, recursos educativos, medios digitales,
licenciatura, ámbito de estudio, año de formación
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Introduction
En France, depuis les années 60, la sociologie de l’éducation a été fortement marquée par une attention
portée à une analyse des conditions sociales d’accès à l’enseignement scolaire-universitaire et au rôle de
« l’école » dans les processus de reproduction sociale (Bourdieu et Passeron, 1964; Bourdieu et Passeron,
1970; Actes de la recherche en sciences sociales, 2003; Actes de la recherche en sciences sociales,
2015). La mise en œuvre d’un principe d’« agrégation », visant à analyser la différence entre deux
populations distinctes, du type « étudiants » et « non étudiants », a largement dominé face au principe de
« spécification », lequel oriente la recherche vers une analyse des différences internes à un espace social.
Pourtant, la sélection sociale qui s’effectue encore aujourd’hui à l’entrée dans l’enseignement supérieur
ne signifie pas pour autant que le « monde étudiant » soit un monde socialement homogène, producteur
d’une « population étudiante » et d’une « culture étudiante ». Des différences (et l’on pourrait dire des
inégalités) internes se font jour, et, lorsqu’il est question de l’appropriation des ressources pédagogiques
et plus généralement documentaires des étudiants, on peut penser que ces différences prennent une
acuité particulière puisqu’il s’agit in fine des différentes conditions d’appropriation des savoirs
disciplinaires, lesquelles sont déterminantes de la réussite ou non des cursus universitaires.
Seules deux enquêtes ont systématice principe de spécification dans la construction de leur objet de
recherche. Ces enquêtes font toutes deux le constat d’une influence majeure de la matrice disciplinaire
dans la structuration et la différenciation des pratiques étudiantes qui trouvent là un principe d’organisation
majeur. D’abord l’enquête menée par Bernard Lahire pour l’OVE (Observatoire de la vie étudiante) publiée
en 1997 (Lahire, 1997), dont les résultats mettent en évidence l’effet discriminant de la discipline dans les
manières d’étudier des étudiants, laquelle apparait « comme une matrice socialisatrice scolaire-
universitaire spécifique » (Lahire, 1998). Ensuite, l’enquête de Mathias Millet publiée en 2003, qui reprend
l’hypothèse initiée par Bernard Lahire et spécifie son enquête par une attention portée aux « logiques
sociales-cognitives » des savoirs enseignés (Millet, 2003). Outre le fait de montrer que « la composition
sociodémographique des différents publics étudiants, bien qu’étant fortement structurante, n’est pas le
seul ni même le principal déterminant des variations observées dans les manières d’étudier et dans le
rapport des étudiants aux études » (Millet, 2003, p. 7), ces enquêtes mettent toutes deux en évidence un
usage différencié des ressources pédagogiques selon la discipline (notes de cours, photocopies, articles,
ouvrages…).
Cependant, force est de constater que ces enquêtes ont été menées à des moments ce qu’il est
convenu d’appeler aujourd’hui le « numérique » n’était pas ou peu développé. Par conséquent, ces
enquêtes limitent leurs analyses aux usages des ressources pédagogiques imprimées. Or, le déploiement
d’une ressource documentaire numérique à destination des enseignements par toujours plus de
bibliothèques universitaires, la mise en place d’ENT Espaces numériques de travail ») et autres
« plateformes pédagogiques » (comme Moodle) et UNT (Universités numériques thématiques), la
multiplication des ressources en ligne, la dématérialisation des supports de cours comme des
bibliographies, la mise en place des MOOC, etc., ont généralisé le recours au « numérique » à l’université,
à tel point qu’il est devenu la source actuelle principale des réflexions sur « l’innovation pédagogique »
(Cordier, 2018).
Face à un tel déploiement, on peut s’interroger sur ce qui fait l’intérêt du numérique. Nous laisserons de
côté la question du poids du numérique dans la réussite étudiante (Michaut et Roche, 2017). Notre
question est autre, elle interroge la logique même par laquelle les différents dispositifs et contenus
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numériques sont pensés à l’universi (de façon indifférenciés, il s’agit d’une offre qui s’adresse aux
étudiants « dans leur ensemble ») : face au poids des matrices disciplinaires dans l’appropriation des
ressources pédagogiques, elles-mêmes situées à la source même de l’appropriation des savoirs
disciplinaires, on peut légitimement se demander si le numérique peut apparaitre comme une solution au
dépassement des différences, mais il faudrait dire inégalités (Lahire, 1997), internes à l’enseignement
supérieur? Quelle est, donc, l’influence réelle du numérique sur les logiques matricielles? Seraient-elles
(enfin) dépassées grâce au numérique? C’est à ces questions que l’article souhaite apporter des éléments
de réponse car ils permettent de mieux comprendre, par exemple, la réussite ou l’échec de certains projets
d’innovation pédagogique par le numérique menés à l’université.
L’enquête
Méthodologie d’enquête et positionnement
Les résultats livrés ici sont tirés d’un traitement secondaire effectué en 2015 de données recueillies lors
d’une enquête menée en 2012 auprès d’étudiants, d’enseignants-chercheurs, de personnels des
bibliothèques et de personnels TICE. Nous n’exploiterons ici que la partie consacrée aux étudiants.
L’enquête « étudiants » a permis de recueillir 1010 questionnaires exploitables (échantillonnage par quotas
et passation en face-à-face) provenant de neuf universités françaises : Universités de Paris 1 Sorbonne
(118 - 12%), Lyon 1 (116 - 11%), Paris Sud 11 (114 - 11%), Angers (113 - 11%), Tours (113 - 11%),
Poitiers (112 - 11%), Caen (11011%), Strasbourg (109 - 11%) et Limoges (105 - 10%). Elle a porté sur
cinq filières d’études : ALL (Arts, Lettres, Langues), DEG (Droit, Économie, Gestion), SHS (Sciences
Humaines et Sociales), STS (Sciences, Technologies, Santé filière qui accueille des étudiants en premier
cycle d’études médicales) et STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives), et
quatorze types de ressources pédagogiques, dont quatre n’existaient qu’au format numérique, tandis que
les dix autres étaient disponibles à la fois au format papier et numérique. Ainsi, selon le rapport du Lisec
(Laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation et de la communication) de 2016 (Groupe de
travail, 2016) le marché éditorial de l’enseignement supérieur serait aujourd’hui « bicéphale » dans lequel
on distingue une offre éditoriale papier et une offre éditoriale numérique. On compte 46% de l’échantillon
en 1ère année de Licence (dite « L1 »), 32% en « L2 », 22% en « L3 ». Les abréviations L1, L2 et L3
seront utilisées pour rendre compte des trois années de formation du cycle de Licence.
Les rares études menées sur les pratiques documentaires en sciences de l’information et de la
communication comme en sociologie sur le travail universitaire des étudiants portent sur des données
recueillies au sein d’une seule université et sur un nombre réduit d’étudiants et de filières d’études ou
disciplines (parfois une seule) (Courtecuisse et Després-Lonnet, 2006; Courtecuisse, 2008; Millet, 2003;
Chartron, Epron et Mahé, 2012). En outre, les données sont la plupart du temps uniquement de type
qualitatif. Les résultats présentés vont ainsi permettre de valider l’hypothèse de la filière d’étude et de
l’année de formation comme principes de différenciation des usages, mais aussi de quantifier des résultats
qualitatifs obtenus ailleurs et de procéder à une analyse comparative inédite.
L’enquête « étudiants » porte spécifiquement sur le cycle Licence. À la différence d’une approche centrée
sur le niveau Master ou Doctorat, il s’agit donc de travailler sur des étudiants qui « entrent » à l’université,
c’est-à-dire dans une nouvelle organisation générale des modes de transmission des savoirs, de nouveaux
dispositifs pédagogiques, différents du lycée (Jellab, 2011; Boyer et Coridian, 2002; Boyer, Coridian et
Erlich, 2001). Bien que tous les étudiants n’aient pas à faire la même expérience du passage du lycée à
l’enseignement supérieur, ce passage constitue souvent un bouleversement pour ces nouveaux entrants,
notamment dans certains secteurs de l’enseignement supérieur comme les facultés, qui rompent « plus
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nettement que dans d’autres (CPGE, BTS, IUT) avec le système du lycée et correspond à la découverte
de logiques intellectuelles relativement inédites » (Millet, 2003, p. 98). En la matière, et au-delà des
questions d’ordre pratiques et organisationnelles, « c’est principalement un nouveau rapport aux savoirs
que chacun devra apprendre à construire » (Courtecuisse et Després-Lonnet, 2006, p. 34).
La réussite à l’université impose la mise en œuvre de nouvelles stratégies d’apprentissage, l’étudiant
devant « acquérir des démarches fondamentales et complexes lui permettant de maîtriser, dans sa
discipline, l’information qu’il doit identifier, rechercher, exploiter et à son tour produire » (Deshoulières,
Nacher et Panijel, 2003). En Master et Doctorat ces effets de l’apprentissage universitaire sont déjà
intégrés. De plus, travailler sur les ressources documentaires des étudiants est primordial car comme nous
l’avons dit il s’agit alors d’analyser les conditions d’appropriation des savoirs disciplinaires. Les ressources
documentaires sont déterminantes de la « carrière » des étudiants car elles forment un dispositif de
médiations entre les étudiants et le savoir disciplinaire et sont fondamentalement constitutives de leur
activité : la recherche et la maitrise de l’information-documentation est en effet la forme principale du travail
(personnel) qu’un étudiant doit réaliser pour mener à bien ses études.
Hypothèse : le poids de la filière d’étude et de l’année de Licence
L’enquête se donne donc comme objectif de tester l’hypothèse validée du poids de la filière d’étude - en y
testant aussi la part prise par l’année de formation - dans la distribution des usages des ressources
pédagogiques imprimées des étudiants sur le terrain « nouveau » des ressources pédagogiques en leur
format numérique. Poser ainsi la question des usages du numérique pédagogique à l’université suppose
d’abord de ne considérer « les étudiants » ni comme un ensemble par trop homogène (considérer les
étudiants dans leur ensemble) ni totalement hétérogène (un ensemble atomisé d’individus). Cela
présuppose de considérer l’université comme un espace social structuré, un « champ universitaire »
(Bourdieu, 1984), aux effets propres. Parmi les contraintes structurales spécifiques de ce champ, notre
hypothèse pose qu’il faut d’abord compter les « matrices disciplinaires » entendues comme matrices de
socialisation, qui déterminent les conduites étudiantes, principalement les manières d’étudier, et plus
précisément encore, les rapports aux ressources documentaires pédagogiques. Nous n’analyserons donc
pas les modalités empiriques de la socialisation par la matrice disciplinaire (i.e., à travers les grilles
d’emploi du temps, le volume de travail à effectuer, l’investissement nécessaire, les lieux fréquentés pour
travailler, les conditions matérielles à disposition, le niveau d’encadrement pédagogique, les types
d’examens…, les effets prolongés de la matrice disciplinaire sur les manières d’étudier : le rapport au
temps, le travail universitaire, les pratiques de lecture, les sorties, etc.), ni même les conditions sociales
d’accessibilité aux disciplines universitaires ainsi que l’a fait la sociologie de l’éducation. Ici, la filière
d’étude et l’année de Licence commandent l’ordre d’analyse.
Il est clair cependant que les effets de la filière d’étude et de l’année de Licence ne s’exercent pas sur des
étudiants sans origine ni histoire. Le poids de l’origine sociale (PCS Professions et catégories
socioprofessionnelles et diplôme des parents), du parcours scolaire (série du baccalauréat et mention)
et du genre (homme/femme) est réel, il fonctionne comme filtre à l’entrée dans la filière d’étude, la discipline
ou l’établissement (Convert, 2003, 2010; Renisio, 2015), il spécifie la manière dont les exigences propres
à la filière d’étude vont impacter l’étudiant dans sa capacité à se maintenir dans la filière, en intégrant la
nature des savoirs transmis (plus ou moins technique, scientifique, littéraire, physique, codifié et stabilisé,
empirique…) et la logique de l’organisation pédagogique des enseignements (suivi des enseignants,
rythme des cours, nature et régularité des examens…).
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Tableau 1
Origine sociale des filières d’étude
ALL DEG SHS STS STAPS
Agriculteurs/exploitants
3%
2%
3%
4%
6%
Artisans,commerçantsetchefs
d’entreprise(ACCE)
8%
12%
9%
11%
15%
Cadresetprofessions
intellectuellessupérieures
24%
39%
27%
41%
23%
Professionsintermédiaires
15%
12%
18%
16%
23%
Employés
27%
18%
20%
15%
16%
Ouvriers 13%
9%
9%
6%
12%
Retraités
6%
4%
9%
6%
4%
Autresinactifs
4%
4%
4%
1%
1%
Note. Source : 1010 questionnaires exploitables.
L’analyse des données (Tableau 1), effectuée à l’appui d’une analyse relationnelle (analyse factorielle des
correspondances) (Figure 1), montre en effet que la distribution des PCS par filière laisse apparaitre une
hiérarchie sociale interne à l’enseignement supérieur : STS, DEG et STAPS apparaissent comme des
filières qui, proportionnellement, « accueillent » des étudiants issus des PCS supérieures, quand SHS et
ALL « accueillent » quant à elles des enfants d’employés et d’ouvriers. Plus précisément, la filière d’étude
STAPS est une filière se retrouvent majoritairement des enfants issus de milieux plutôt
économiquement favorisés (Agriculteurs/exploitants, artisans, commerçants et chefs d’entreprise,
professions intermédiaires) alors que STS et DEG sont des filières l’on retrouvera majoritairement les
enfants issus de parents à diplômes élevés (cadres et professions intellectuelles supérieures).
Quant à SHS, et surtout ALL, elles sont les deux filières les plus populaires. Globalement, les femmes sont
majoritaires, elles représentent 62% de l’échantillon contre 38% d’hommes. STAPS est la seule filière à
dominante masculine (53% d’hommes et 47% de femmes); viennent ensuite STS (43% d’hommes et 57%
de femmes), DEG (62% de femmes et 38% d’hommes), SHS (68% de femmes et 32% d’hommes) et enfin
ALL (77% de femmes et 23% d’hommes). De fait, plus on se dirige vers des filières généralistes et
littéraires, plus les filières se féminisent; plus on se dirige vers les filières techniques et corporelles plus
les filières se masculinisent. A ce titre, Bernard Lahire rappelle que la culture littéraire a, depuis les
années 60, progressivement changé de sens en passant du statut de « culture dominante » à celui de
« culture féminine » (Lahire, 1997). Enfin, précisons que l’avancée dans la formation de Licence, de L1
à L3, entraine une perte (par abandon ou réorientation) de 4% des hommes (les femmes se maintiennent)
et de 6% des catégories sociales populaires (employés et ouvriers).
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Figure 1
Une hiérarchie sociale de l’enseignement supérieur
Note. Source : 1010 questionnaires exploitables.
Restitution des résultats
Caractéristiques transversales des usages
LA PLACE DU NUMÉRIQUE
Le numérique a pris une place importante dans les usages de ressources pédagogiques des étudiants du
premier cycle (Figure 2). Dans l’enquête, les étudiants étaient invités à déclarer s’ils pensaient utiliser
plutôt le format numérique, le papier ou l’un autant que l’autre. Il s’avère que la moitié des étudiants
déclarent utiliser le « papier autant que le numérique » pour leurs travaux personnels (exposés, recherches
thématiques et complément de cours). Nous avons aujourd’hui affaire à une génération d’étudiants qui est
aussi bien à l’aise avec le support numérique qu’avec le support papier.
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Figure 2
Place du numérique dans le travail universitaire
Note. Source : 1010 questionnaires exploitables.
UNE PRÉFÉRENCE POUR LE FORMAT PAPIER
Pour autant, ce sont les documents papier qui, dans la pratique, sont les plus utilisés. En effet, parmi les
documents existant à la fois en format papier et numérique, le format papier est largement davantage
utilisé. Seules les notes de cours des autres étudiants sont utilisées autant en format papier que numérique
(Figure 3).
Figure 3
Une place dominante du format papier
Note. Source : 1010 questionnaires exploitables.
La relative faiblesse des usages des documents numériques ne s’explique plus par le niveau d'équipement
des étudiants (déjà en 2012 95% des étudiants étaient équipés en ordinateur portable et 63% l’utilisent en
cours). Il ne s’explique pas non plus par des questions d’accessibilité : 1% seulement des étudiants
interrogés déclarent ne pas avoir recours au format numérique en raison de difficultés d’accès. L’aspect
pratique du format n’intervient pas non plus ici puisque ces qualités (recherche, manipulation, archivage)
49%
29%
21%
Papier autant que numérique Papier + que numérique Numérique + que papier
-
10%
20%
30%
40%
50%
Polycopiés
Manuels
Ouvrages spé et
essais
Mémo-fiches
Dico et
encyclopédies
Notes cours
Livres d'exercices
Journaux, mag et
revues
Papier Numéri que
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sont pleinement reconnues par les étudiants.
Privilégier le papier trouve probablement un élément d’explication dans « ce que lire veut dire » pour un
étudiant : lire en qualité d’étudiant c’est peut-être d’abord lire avec un surligneur, un crayon de papier, un
stylo à la main… de prendre des notes, d’identifier dans le continuum des textes appréhendés les éléments
de connaissances à privilégier, à retenir, pour structurer son apprentissage du savoir disciplinaire.
DES SUPPORTS PÉDAGOGIQUES QUI SONT D’ABORD DE TYPES « SCOLAIRES »
Globalement, les étudiants de Licence vont avoir tendance à privilégier les supports pédagogiques de type
« scolaire » (Figure 4). Les deux types de documents majoritairement utilisés par les étudiants sont d’abord
les polycopiés et supports de cours fournis par les enseignants et, dans un deuxième temps, les manuels.
Cela renvoie bien entendu à un besoin d’acquisition de connaissances généralistes et disciplinaires : il faut
acquérir « les bases » d’une discipline plus ou moins exigeante et complexe.
Toutefois, comme nous l’avons souligné plus haut, ce besoin est lui-même corrélé au fait que les étudiants
de Licence sont ce que J.-F. Courtecuisse et M. Després-Lonnet appellent des « primo-entrants » (2006,
p. 34). Leur autonomie comme les choix mêmes qu’ils font des ressources pédagogiques, qu’elles soient
numériques ou non, le rapport à l’enseignant et aux supports qu’il transmet, sont alors imprégnés des
manières de travailler acquises avant et pendant le Lycée; on a affaire à un effet d’hystérésis de
l’organisation pédagogique du Lycée qui impose à ces « nouveaux entrants » une véritable conversion
des manières d’être et de faire leurs études, sachant que cette conversion est nuancée par les propriétés
pédagogiques (et notamment le niveau d’encadrement pédagogique) ainsi que la structure des savoirs
(scientifique ou littéraire, stabilisé ou en construction, intégrés ou polymorphes) de chaque discipline
universitaire (Millet, 2003).
Figure 4
Des supports pédagogiques de type scolaires privilégiés
Note. Source : 1010 questionnaires exploitables.
- 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%
Articles / Travaux univ
Autres documents
Divers sites
Vidéos et podcasts universitaires
Livres d'exercices
Mémo-fiches
Bases de données BU
Journaux, magazines et revues
Dictios et encyclopédies
Ouvrages spé et essais
Manuels
ENT
Notes de cours
Polycopiés
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sont pleinement reconnues par les étudiants.
Privilégier le papier trouve probablement un élément d’explication dans « ce que lire veut dire » pour un
étudiant : lire en qualité d’étudiant c’est peut-être d’abord lire avec un surligneur, un crayon de papier, un
stylo à la main… de prendre des notes, d’identifier dans le continuum des textes appréhendés les éléments
de connaissances à privilégier, à retenir, pour structurer son apprentissage du savoir disciplinaire.
DES SUPPORTS PÉDAGOGIQUES QUI SONT D’ABORD DE TYPES « SCOLAIRES »
Globalement, les étudiants de Licence vont avoir tendance à privilégier les supports pédagogiques de type
« scolaire » (Figure 4). Les deux types de documents majoritairement utilisés par les étudiants sont d’abord
les polycopiés et supports de cours fournis par les enseignants et, dans un deuxième temps, les manuels.
Cela renvoie bien entendu à un besoin d’acquisition de connaissances généralistes et disciplinaires : il faut
acquérir « les bases » d’une discipline plus ou moins exigeante et complexe.
Toutefois, comme nous l’avons souligné plus haut, ce besoin est lui-même corrélé au fait que les étudiants
de Licence sont ce que J.-F. Courtecuisse et M. Després-Lonnet appellent des « primo-entrants » (2006,
p. 34). Leur autonomie comme les choix mêmes qu’ils font des ressources pédagogiques, qu’elles soient
numériques ou non, le rapport à l’enseignant et aux supports qu’il transmet, sont alors imprégnés des
manières de travailler acquises avant et pendant le Lycée; on a affaire à un effet d’hystérésis de
l’organisation pédagogique du Lycée qui impose à ces « nouveaux entrants » une véritable conversion
des manières d’être et de faire leurs études, sachant que cette conversion est nuancée par les propriétés
pédagogiques (et notamment le niveau d’encadrement pédagogique) ainsi que la structure des savoirs
(scientifique ou littéraire, stabilisé ou en construction, intégrés ou polymorphes) de chaque discipline
universitaire (Millet, 2003).
Figure 4
Des supports pédagogiques de type scolaires privilégiés
Note. Source : 1010 questionnaires exploitables.
- 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%
Articles / Travaux univ
Autres documents
Divers sites
Vidéos et podcasts universitaires
Livres d'exercices
Mémo-fiches
Bases de données BU
Journaux, magazines et revues
Dictios et encyclopédies
Ouvrages spé et essais
Manuels
ENT
Notes de cours
Polycopiés
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On comprend ainsi aisément que les étudiants de Licence ne viennent que rarement et tardivement aux
articles universitaires : ces articles sont publiés par des spécialistes à destination d’autres spécialistes
(chercheurs ou praticiens) et n’ont pas ou que rarement une visée pédagogique
.
Le niveau d’écriture, la
complexité des analyses et des réflexions réclament d’emblée une maîtrise des savoirs initiaux, ce qui
n’est pas encore complètement le cas en Licence. Ces publications remplissent des fonctions précises et
s’adresseront plutôt à des étudiants bénéficiant d’une certaine expertise, et donc avancés dans le cursus
de formation universitaire.
Des usages des ressources pédagogiques numériques
caractérisés par l’appartenance à une filière d’étude et
l’année de formation
Globalement, les résultats obtenus sur l’ensemble des étudiants enquêtés pris indistinctement mettent en
évidence que si les étudiants déclarent utiliser pour leurs études les supports numériques autant que les
supports papier, l’usage des ressources numériques est en réalisignificativement moins important que
l’usage des ressources papier : les documents existant sous les deux formats vont être largement plus
utilisés au format papier (un tiers des étudiants enquêtés). En outre, ce sont les ressources pédagogiques
de type « scolaire » qui sont privilégiées : polycopiés (92%), notes de cours (87%), espace numérique de
travail (70%), et manuels (64%), l’article scientifique n’étant quant à lui utilisé que de façon moindre (2%).
Mais l’analyse plus fine fait en réalité apparaitre la filière d’étude et l’année de Licence comme deux
variables explicatives de différences d’usages marquées.
Le poids de la filière d’étude
La projection des résultats (Figure 5) permet de mettre en évidence deux groupes de supports
pédagogiques distincts, lesquels sont définis par leur appartenance à une filière d’étude. Ces différences
se structurent autour des documents que les étudiants jugent les plus adaptés à leurs besoins. De gauche
à droite de l’axe horizontal se distribuent les filières à finalité professionnelle gauche) et les filières à
finalité académique (à droite). Alors que ALL, SHS et DEG sont des filières qui forment à l’obtention d’une
Licence « générale », laquelle suppose l’acquisition d’une forme de savoir généraliste qui n’a pas de
finalité directement applicative, STS et STAPS inclinent à une forme de professionnalisation de leur
formation et par là de spécialisation et de technicisation des savoirs enseignés.
Ainsi, on constate que les filières littéraires vont plutôt avoir tendance à utiliser des ouvrages spécialisés,
des encyclopédies et des documents en prise avec l’actualité, tandis que les étudiants des filières plus
techniques et sportives vont avoir tendance à privilégier les ressources pédagogiques « scolaires » tout
au long de leur parcours de Licence (manuels, mémo-fiches, livres d’exercices…), et des documents
opérationnels orientés sur la méthode et la technique. Par ailleurs, les étudiants des filières STS et STAPS
déclarent utiliser moins de types de documents différents que leurs pairs, notamment les étudiants des
filières SHS et ALL. Cette différenciation documentaire n’est d’ailleurs pas sans aller avec une
différenciation des lieux universitaires fréquentés : si l’on constate une baisse globale de la fréquentation
des bibliothèques universitaires depuis 1997, il y a un distinguo à faire en fonction de la filière
d’appartenance. En effet, ce taux de fréquentation « ne diminue pas chez les étudiants qui suivent des
études plutôt "littéraires" et universitaires (Droit-Économie ou LSHS) qui ont plus que d’autres développé
des habitudes de travail en bibliothèque. Dans ces disciplines, le recours à des ouvrages ou à des revues
est plus souvent observé et la bibliothèque reste un instrument de travail incontournable » (Groupe de
travail, 2016, p. 8).
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Pour comprendre ces différences, disons que du pôle formé par les filières « STS-STAPS-DEG » (DEG
occupant une position intermédiaire) au pôle « ALL-SHS » (STS et SHS étant diamétralement opposés),
on passe de données (data) qu’il faut mémoriser (STS compte 50% d’étudiants en premier cycle d’études
médicales), à la constitution progressive de « dossiers », de « mémoires », et d’exposés, qui impliquent
d’avantage un travail de documentation.
Figure 5
Poids de la filière dans le choix du support pédagogique
Note. Source : 1010 questionnaires exploitables dont ALL (18%), DEG (24%), SHS (18%), STS (25%), STAPS
(16%).
S’opposent ici :
Les filières il y a « des choses à savoirs » (et à apprendre), l’activité de connaissance
relève moins de « l’investigation générative et personnelle » que de « l’investigation réitérative »
(Millet, 2003), dans des termes, des « schémas », des « figures », des mécanismes clairs et
explicites, faisant explicitement référence à une maîtrise détaillée des contenus des cours qui
focalisent l’attention sur les polycopiés et notes de cours. La lecture de livres est plus rare, le
contenu du cours est le support principal autour duquel s’organise le travail universitaire. Pour
reprendre le modèle d’analyse élaboré par Pierre Bourdieu, on peut dire que ces filières
occupent le pôle du « pouvoir temporel » du « champ universitaire » (Bourdieu, 1984), le
savoir se présente prioritairement sous la forme d’un ensemble statique de connaissances
acquises normalisées en vue de parvenir à remplir une fonction d’exécution et de conservation.
Et les filières il y a plutôt « des choses à comprendre » à partir de corpus d’auteurs, d’œuvres,
de méthodes, etc. Il s’agit alors moins d’apprendre et de reproduire « par cœur » un savoir
technique transposable que de s’approprier une pensée, d’acquérir une « posture », un
« esprit ». La lecture (exploratoire) de livres est ici constitutive du travail universitaire, le contenu
du cours n’est pas le seul support autour duquel s’organise le travail universitaire (Millet, 2003).
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Certes, établir un dossier, un mémoire, etc., implique un respect de « techniques de fabrication »
(Millet, 2003), mais ceux-ci fournissent un cadre assez général, dont les contenus et logiques
restent relativement peu codifiés. A ce titre, le contenu des cours, à la différence des savoirs
plus standardisés, s’appuie d’abord sur le travail personnel des enseignants-chercheurs. Ces
filières occupent quant à elles le pôle du « pouvoir spirituel », le savoir se présente comme
hétérodoxe, en cours d’élaboration et en état permanent de transformation.
La logique des usages des ressources pédagogiques repose ainsi sur la nature « sociale-cognitive » des
savoirs transmis : il y a des filières qui transmettent d’abord des notions techniques, des savoirs
standardisés à connaitre « par cœur » (schémas, figures, lois, etc.), et des filières aux connaissances plus
globales, aux contours mal définis et dont l’appropriation est plus personnelle afin de permettre de
réinvestir des principes de connaissance, d’acquérir et mettre en œuvre un ensemble de postures
mentales; « lire » n’a pas la même signification selon qu’on est étudiant en STS ou en SHS. Cela ne va
pas sans répercussion sur les outils pédagogiques utilisés pour s’approprier ou construire ses propres
connaissances disciplinaires : ALL et SHS auront tendance à délaisser les supports pédagogiques les plus
strictement scolaires (mémo-fiches, livres d’exercices, etc.).
En médecine par exemple, paradigme du pôle « des choses à savoirs », du fait d’un savoir « standardisé
et systématique », « l’orientation de la lecture, le choix des livres, les objectifs à atteindre, les repérages
d’informations, etc., s’appuient sur l’existence d’un stock documentaire objectivé (et systématisé) qui
facilite l’identification et la sélection des différentes ressources documentaires » (Millet, 2003, p. 182).
Il suscite des formes de lecture « informatives, brèves et ciblées », lesquelles sont la plupart du temps
liées à la nécessité de compléter un cours, de rechercher une information précise sur un sujet particulier.
En dehors de cet objectif, la lecture (de livre) est rare, elle arrive « en dernier recours », elle n’est pas
identifiée comme constitutive du travail universitaire, ce serait prendre le risque de « perdre son temps »
(Millet, 2003, p. 184).
Des usages différenciés du papier et du numérique
L’enquête remarquait en 2012 que « peu de différences émergent spécifiquement sur l’usage des
ressources numériques en fonction des filières d’études. La clé de différenciation reste le type de
ressource pédagogique, et non son support, qu’il soit papier ou numérique » (Fradet, Pelage et Leroux,
2012, p. 72). Il serait alors tentant d’en conclure que ces différences que nous venons de mettre en
évidence transcendent le format utilisé. Pourtant, une analyse statistique un peu fine des résultats
(Figure 6) permet de mettre en évidence une tendance assez claire. Se dessine en effet un usage
différencié des formats en fonction de la filière, ce qui est particulièrement clair pour la filière STAPS.
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Figure 6
Corrélation entre filière d’étude et format de ressource privilégié
Note. Source : 1010 questionnaires exploitables dont ALL (18%), DEG (24%), SHS (18%), STS (25%), STAPS
(16%).
La différence qu’il y a entre « papier plus que numérique » et « numérique plus que papier » montre une
tendance pour les étudiants ALL et STS à s’orienter vers le format numérique par rapport aux autres filières
d’étude, tandis que la tendance est inverse pour les étudiants de SHS et DEG, et différente, à part, pour
les étudiants de STAPS. Ces différences doivent toutes quelque chose au type de ressources
pédagogiques privilégiées : STAPS utilise plus que toutes les autres filières les mémo-fiches et les livres
d’exercice en format papier, mais utilise aussi, plus que toutes les autres filières, les mémo-fiches et
polycopiés de cours en format numérique.
Le poids de l’année de formation
L’attention portée aux différences entre année de Licence tient au fait que les enquêtes jusqu’alors menées
sur le poids des matrices disciplinaires portent exclusivement sur le cycle de Licence. Les différences
matricielles se retrouvent-elles à l’identique quelle que soit l’année de formation? Il semble que cela ne
soit pas aussi clair.
L’analyse des données fait d’abord apparaitre que les étudiants de 3
ème
année de Licence sont plus enclins
à utiliser les ressources numériques que les étudiants de 1
ère
année. Les propos suivant de cet enseignant-
chercheur illustre bien cet aspect :
« On ne peut pas dire que je me tourne naturellement vers l’université pour préparer mes cours.
Alors… Là il faut quand même que je fasse un distinguo : ce n’est pas vrai pour les Master, parce
que par Domino on peut avoir les bouquets de revues, et que maintenant on fait travailler, et
quand je dis maintenant, c’est depuis quelques années, il y a 10 ans ce n’était pas comme ça, on
fait travailler nos étudiants à partir d’articles, et ces articles on les fait récupérer sur les bouquets
de revues, donc je peux considérer que mes séminaires, je les prépare à partir du portail
Domino. » (Enseignant-chercheur, Histoire culturelle)
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Il apparait que l’avancée dans le cursus universitaire est lié à une meilleure appréhension de l’offre
documentaire sous format numérique. On constate un processus de familiarisation (socialisation) aux
ressources pédagogiques numériques (Figure 7). Le papier reste globalement privilégié, mais par exemple
pour les filières ALL et SHS, les étudiants de L3 vont avoir tendance, plus qu’en L1 ou L2, à consulter des
supports pédagogiques préférentiellement en format numérique.
Figure 7
Ancienneté dans la formation et format de ressource privilégié
Note. Source : 1010 questionnaires exploitables dont L1 (46%), L2 (32%), L3 (22%).
Si on regarde l’évolution au niveau des logiques d’usage (Figure 8), et même si les pourcentages sont
faibles, il apparait à travers les données et les courbes ci-dessous une tendance faisant que si la logique
d’usage « papier autant que numérique » domine, cet usage tend à diminuer de L1 à L3 (-3%), au profit
du numérique (augmentation de la logique « numérique plus que papier » de +3%), l’usage du papier
(logique « papier autant que numérique ») restant constant.
Figure 8
Évolution des logiques d’usage des formats
Note. Source : 1010 questionnaires exploitables
29%
29%
48%
20%
23%
Papier+quenumérique
Papierautantque
numérique
Numérique+quepapier
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Une expertise disciplinaire et documentaire
Comme l’indique le graphique ci-dessous (Figure 9), en cycle de Licence, ce sont les ressources
pédagogiques de type « scolaire » qui sont privilégiées : polycopiés (92%), notes de cours (87%), Espace
numérique de travail (70%) et manuels (64%). Cela renvoie bien entendu à un besoin d’acquisition de
connaissances généralistes et disciplinaires : il faut acquérir « les bases » d’une discipline plus ou moins
exigeante et complexe. Dimension qui se double de l’aspect « primo-arrivant » d’étudiants encore
imprégnés des « manières d’étudier » acquises jusqu’au Lycée les portant à éviter d’étoffer leurs lectures
de leur propre initiative (Courtecuisse et Després-Lonnet, 2006; Perret, 2013).
Figure 9
Des supports pédagogiques de type scolaires privilégiés
Note. Source : 1010 questionnaires exploitables.
La Figure 10 montre quant à elle des choix différents de documents pédagogiques en fonction de l’année
de Licence. L’année L1 est symétriquement opposée à l’année L3, quand L2 est situé dans une position
intermédiaire, sorte d’année transitoire vers un changement de comportement. On voit que les étudiants
de L1 vont privilégier les manuels, les mémo-fiches, l’ENT, les livres d’exercices, et délaisser par contre
les ouvrages spécialisés. Les valeurs restent faibles, mais lorsqu’il est question de l’usage d’articles
scientifiques et de travaux universitaires, les valeurs passent de 1% (en L1) à 4% (en L3).
2%
2%
3%
11%
34%
37%
47%
48%
63%
64%
64%
70%
87%
92%
Articles / Travaux univ
Autres documents
Divers sites
Vidéos et podcasts universitaires
Livres d'exercices
Mémo-fiches
Bases de données BU
Journaux, magazines et revues
Dictios et encyclopédies
Ouvrages spé et essais
Manuels
ENT
Notes de cours
Polycopiés
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Figure 10
Ancienneté, expertise disciplinaire et expertise documentaire
Note. Source : 1010 questionnaires exploitables.
Comme le souligne l’enseignant-chercheur cité ci-dessous, les changements dans le temps des usages
des ressources pédagogiques (ici au format numérique) sont directement liés à l’évolution de la nature
même des supports pédagogiques utilisés au long de la formation universitaire :
« Ensuite (après les livres et les cours d’autres enseignants), mais en licence ce n’est pas toujours
le cas, c’est plus en cycle Master : la troisième ressource principale c’est les articles
scientifiques. » (MCF, informatique)
Les étudiants de L3 vont donc commencer à s’orienter vers des supports plus experts : ouvrages
spécialisés et essais, base de données en ligne de la BU, journaux, revues et articles scientifiques, donc
vers des lectures qui réclament un certain niveau de compétence et des préoccupations intellectuelles
avancées; ils délaissent progressivement les supports plus « scolaires » sans pourtant les abandonner
complètement. Progressivement, avec l’avancée dans le cursus de formation, on constate ainsi
l’acquisition d’une expertise disciplinaire qui va de pair avec une plus grande expertise documentaire que
les étudiants de L1 et L2 n’ont pas encore intégrée.
Conclusion et perspectives
Les résultats, même limités à une analyse de la distribution sociale des ressources pédagogiques
numériques entre les étudiants de premier cycle à l’université, montrent que le passage au numérique n’a
finalement rien modifié des facteurs matriciels qui structurent l’appropriation étudiante des ressources
pédagogiques en leur format papier. Dans les cycles de Licence, la filière d’étude continue de déterminer
l’orientation vers telle ou telle ressource numérique telle qu’elle se définissait pour les ressources
imprimées, ressources qui n’ont d’ailleurs pas disparues, le papier restant le format privilégié des étudiants
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(plutôt qu’une conversion au « tout numérique », se confirme ici une forme d’hybridation des formats). Des
logiques plus profondes persistent et commandent l’ordre des usages réels quels que soient les formats
utilisés. Les enquêtes sur l’impact des matrices disciplinaires auxquelles nous avons fait référence ont
cherché à identifier le principe des différences constatées : il se situe dans la nature même des savoirs
transmis, et c’est pour cette raison même que la nature des ressources documentaires est elle-même
différente. Dans les filières comme les SHS par exemple « le texte imprimé est l’outil indispensable à partir
duquel les étudiants puisent la matière de leurs propres productions, s’approprient des grilles
d’interprétation, réinvestissent des langages conceptuels, et entrent ainsi progressivement dans un monde
de références, de manières de dire et de raisonner » (Millet, 2010, p. 9).
Toutefois, cet effet de la discipline ou filière d’étude semble trouver quelque limite dans l’expertise
disciplinaire progressivement acquise par les étudiants. Quelle que soit la discipline en effet, on constate
que l’usage des ressources numériques tend à augmenter avec l’expertise grandissante croisée du travail
étudiant et de l’offre éditoriale (plus de ressources spécialisées : articles, ouvrages spécialisés…). Ici aussi
c’est en quelque sorte la nature même des supports documentaires qui change avec la nature même des
connaissances acquises, mais d’une autre manière : des connaissances généralistes permettant
d’appréhender les bases d’un savoir (ce qu’est une cellule par exemple) et d’une discipline (ce qu’est la
sociologie par exemple), à l’expertise d’un travail étudiant progressivement tourné vers l’apprentissage
des actes de la recherche. L’effet de la matrice disciplinaire comme matrice de socialisation disciplinaire
ayant progressivement relativement moins de poids.
Aussi, il reste à mener une enquête sur les niveaux plus avancés des cursus universitaires, les travaux
existants sur lesquels nous nous sommes appuyés étant limités aux niveaux Licence. Nous posons en fin
de compte l’hypothèse d’une persistance des différences disciplinaires aux niveaux supérieurs des cursus
universitaires. Toutefois, cette persistance croise une augmentation globale de l’usage des ressources
numériques, l’usage des ressources imprimées devenant marginale, même pour les filières SHS et lettres.
Cela tient, et c’est notre hypothèse, au fait que le format éditorial de type « article de recherche » devient
le support documentaire exclusif pour les filières scientifiques et techniques (les formats type « manuel de
cours », « mémo-fiches », « livres d’exercices » perdent naturellement de leur intérêt) et le support
documentaire privilégié pour les filières SHS et lettres (les formats type « ouvrage spéciali », « essais »,
etc., conservant de leur pertinence).
Cependant, avec la croyance en la rapidité des changements qu’impose le développement du marché et
le déploiement politique du numérique à l’universiet au-delà, on pourrait se demander si en 2020 nos
résultats ne sont pas quelque peu obsolètes. Il semble qu’il n’en soit rien. D’abord parce que si des
changements sont survenus entre 2012 et 2020, ces changements ont été bien plus grands encore entre
1997, 2003 (années respectives des enquêtes de B. Lahire et M. Millet) et 2012, alors qu’on ne constate
pas de bouleversement de l’ordre des pratiques. Ensuite parce qu’aujourd’hui encore cette partition des
disciplines se fait éminemment sentir :
« On sait qu'il y a un transfert de la documentation du papier vers l'électronique. Alors, on n'en est
pas encore à un niveau de vases communicants, mais c'est plutôt une offre qui est
complémentaire, on voit que c'est justifié sur certaines disciplines, il existe une très forte
pression : sur les manuels, là, on a quasiment des succès assurés. (…) C’est-à-dire que dans les
habitudes de consultation, on a une différence en fonction des disciplines. »
(Bibliothécaire, responsable de secteur documentaire « lettres et sciences humaines », chargé de
mission « indicateurs et évaluation »).
Au regard du poids de cette pratique dans le travail universitaire et la réussite ou non des premières
années d’études supérieures, les logiques internes de différenciation des usages des ressources
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pédagogiques numériques (et imprimées) à l’université méritent bien une attention sociologique
particulière. A l’heure d’une banalisation de ces outils et contenus, lesquels s’interposent toujours plus
systématiquement entre l’enseignant, le savoir disciplinaire et l’étudiant, il semble important d’intégrer
l’analyse de ces logiques différentielles à l’élaboration des projets pédagogiques numériques. Pourtant,
ces aspects restent encore trop peu étudiés et trop peu considérés dans la compréhension des modes
d’appropriation des savoirs disciplinaires des étudiants. Sur la base des mêmes hypothèses développées
ici, deux perspectives restent à développer : multiplier les enquêtes sur la compréhension des usages
documentaires numériques des étudiants sur des niveaux de formation plus élevés, comme le Master et
le Doctorat, et prolonger l’analyse exploratoire esquissée ici sur la population des enseignants : « les
pratiques, les représentations et les manières de travailler et surtout d’enseigner des universitaires »
jouant un rôle décisif dans « les processus de socialisation des pratiques étudiantes » (Millet, 2013,
p. 87). Ce dernier point fera l’objet d’un prochain article.
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