Revue internationale sur le numérique en éducation et communication
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Uneapprocheinstrumentaledel’éducation
auxdébatssocio-scientifiquesenligne
Aninstrumentalapproachtoeducation
foronlinesocio-scientificdebates
Unenfoqueinstrumentaldelaeducación
paraeldebatesocio-científicoenlínea
Jean-Marc Meunier, maitre de conférences
Laboratoire Paragraphe, université Paris 8, France
jmeunier@univ-paris8
RÉSUMÉ
De notre point de vue, l’enseignement en ligne est par essence une activité de collaboration
médiatisée, plus encore lorsqu’il s’appuie sur une pédagogie active et met en scène les
interactions entre étudiants. Les outils dont disposent les enseignants sont multiples, parfois
complexes, et s’organisent en système qu’il faut pouvoir analyser pour comprendre une
activité telle qu'un débat en ligne. Dans cet article, nous proposons l’analyse d’une telle
situation dans le cadre de l’approche instrumentale (Lonchamp, 2012; Rabardel et Beguin,
2005; Rabardel, 1995) afin de montrer comment la notion de compétence, telle qu’elle est
proposée dans ce cadre, peut permettre de penser l’alignement entre les activités
pédagogiques, les compétences visées et l’évaluation de ces dernières.
Mots-clés : apprentissage collaboratif en ligne, approche instrumentale, schème, formation à
la pensée scientifique
ABSTRACT
From our point of view, online education is inherently a mediated collaborative activity, even
more so when it is based on active pedagogy and involves student interaction. The tools
available to teachers are multiple, sometimes complex, and are organized into a system that
must be analyzed in order to understand an activity such as an online debate. In this article,
we propose the analysis of such a situation in the framework of the instrumental approach
(Lonchamp, 2012; Rabardel & Beguin, 2005; Rabardel, 1995) in order to show how the notion
of competence, as proposed in this framework, can allow us to think about the alignment
between pedagogical activities, the targeted competencies and the evaluation of them.
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Keywords: online collaborative learning, instrumental approach, scheme, scientific thinking
education
RESUMEN
Desde nuestro punto de vista, la educación en línea es inherentemente una actividad de
colaboración mediada, más aún cuando se basa en una pedagogía activa e involucra la
interacción de los estudiantes. Los instrumentos de que disponen los profesores son múltiples,
a veces complejos, y están organizados en un sistema que debe poder analizarse para
comprender una actividad como un debate en línea. En el presente artículo proponemos el
análisis de esa situación en el marco del enfoque instrumental (Lonchamp, 2012;
Rabardel & Beguin, 2005; Rabardel, 1995) a fin de mostrar cómo la noción de competencia,
tal como se propone en este marco, puede permitir pensar en la alineación entre las
actividades pedagógicas, las competencias específicas y la evaluación de estas últimas.
Palabras clave: aprendizaje colaborativo en línea, enfoques instrumentales, esquema,
formación en pensamiento científico
L’enseignement à distance : une situation de collaboration
en ligne
Le vocable d’« enseignement à distance » laisse trompeusement croire que la principale caractéristique
de cette forme d’enseignement est la distance géographique entre l’enseignant et l’apprenant. La distance
peut également être temporelle si on considère la dimension asynchrone de la plupart des interactions qui
la caractérisent. Ces points de vue conduisent dans le langage courant à opposer l’enseignement à
distance au présentiel. Pourtant, même si la forme diffère, l’enseignement à distance nécessite également
une présence et des formes de régulation. Il n’y a pas moins de présence dans une situation
d’enseignement à distance que dans une situation d’enseignement présentiel. L’apprenant n’est pas non
plus mis dans une situation passive (Jézégou, 2012). L’environnement pédagogique qu’on lui propose,
typiquement la plateforme d’enseignement, n’est pas clos. Il est ouvert sur d’autres sources
documentaires, sur d’autres individus et éventuellement d’autres lieux d’interaction comme les réseaux
sociaux. Pour évoluer dans un tel environnement, l’apprenant doit cependant développer des formes
d’autorégulation spécifiques (Jézégou, 2010). La généralisation de l’usage d’Internet et le développement
des pédagogies actives font finalement de cette forme d’enseignement une situation par essence
collaborative. Elle a cependant la particularité d’être médiée et médiatisée par la production et l’échange
de documents numériques et orientée vers l’acquisition de connaissances et de compétences, propriétés
qui finalement caractérisent tout cadre éducatif (Béguin et Rabardel, 2000).
De notre point de vue, apprendre à distance consiste à naviguer dans un écosystème documentaire
dynamique, ce que Szoniecky a comparé à la culture d’un jardin de connaissances (Szoniecky et Meunier,
2020; Szoniecky, 2018) dans lequel les apprenants vont produire, transformer ou hybrider des documents.
Les documents ont une double fonction : formaliser des questions, des idées ou des connaissances, et
susciter un feedback de l’enseignant ou de la part des autres étudiants, pour obtenir un complément
d’information, en tester la cohérence, défendre son point de vue ou faire la preuve de ses acquisitions.
Cette double fonction, formaliser et agir sur l’autre, confère aux documents une dimension instrumentale,
tant pour l’enseignant que pour l’étudiant.
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Pour un enseignant, les documents sont des instruments qui fournissent à l’élève, par leur mise en scène,
un moyen d’acquisition des connaissances et des compétences visées dans le cours en prescrivant des
activités sur ceux-ci. Le même point de vue peut être adopté pour l’étudiant dans la mesure le devoir,
les interventions sur les forums ou les traces d’activités qu’il donne à voir sont autant d’instruments
permettant de faire comprendre à l’enseignant et aux autres étudiants ce qui a été acquis, ce qui pose
problème ou doit être discuté. Cependant, ce qui donne sa valeur instrumentale à un document ou à une
trace d’activité, ce n’est pas l’intention du producteur, mais la capacité du récepteur à le traiter comme tel.
Il nous faut donc pouvoir appréhender les schèmes que chacun des protagonistes peut ou non mettre à
l’œuvre pour cela.
L’approche instrumentale
L’approche instrumentale à laquelle nous nous référons est issue des travaux de Rabardel (1995) visant
à rendre compte des activités médiées par des instruments. Les instruments sont des entités mixtes
composés à la fois d’un outil (artefact) qui correspond à la partie technique et d’un sujet qui l’utilise grâce
à des schèmes d’action. L’outil acquiert sa dimension instrumentale au cours d’un processus appelé
genèse instrumentale. Cette approche permet de décrire la situation d’enseignement à distance au niveau
des propriétés globales de la situation (niveau macro). Nous allons les examiner dans une première partie
de cet article en présentant notre cadre conceptuel. L’approche instrumentale permet aussi d’analyser la
façon dont les utilisateurs réels s'approprient l’outil pour atteindre un but dans un contexte particulier
(niveau micro). Nous l’aborderons dans la seconde partie de cet article lorsque nous présenterons
l’analyse de notre dispositif pédagogique.
LE CARRÉ DIDACTIQUE
Au niveau macro, le rôle des instruments est de permettre la mise en forme et la diffusion des notions, des
contenus, et de présenter les activités prescrites (médiatisation), ce que Rabardel nomme une
instrumentalisation, c’est-à-dire une mise en forme pour servir d’instrument. Dans une situation
d’apprentissage, ils servent ainsi d’intermédiaire entre le savoir et l’apprenant. Pour l’apprenant, ils
constituent un intermédiaire entre lui et le savoir. Cela correspond à un processus d’instrumentation qui a
pour objet la construction et l’adaptation des schèmes d’utilisation des instruments par l’apprenant
(médiation). Si on considère que le langage, les formalismes, les activités pédagogiques et les documents
utilisés par l’enseignant sont autant d’instruments, il n’y a guère d’activités pédagogiques qui ne soient
instrumentées. S’appuyant sur cette approche, Rézeau (2002) a ajouté au triangle didactique classique
(apprenant, savoir, enseignant) un quatrième pôle constitué par les instruments qui peuvent être des
supports, des activités, des tâches ou tout type de matériels, mais aussi des instruments psychologiques,
tels que le langage ou les concepts. Plus récemment, Lonchamp (2012) a également proposé un modèle
quadripolaire analogue dans son analyse des systèmes d’apprentissage collaboratif par ordinateur.
LE CYCLE INSTRUMENTAL
Nous avons utilisé ce cardidactique pour formaliser une situation de travail collaboratif en ligne. La
modélisation que nous en proposons dans la figure 1 est bien sûr une simplification. Elle ne considère que
les échanges de documents. Les instruments nécessaires à la production et à la diffusion des documents
sont laissés de côté. Dans cette figure, chaque losange représente un document ou un ensemble de
documents considérés comme instrument. Tout document a un auteur représenté par le cartouche de la
pointe inférieure du losange. Le ou les destinataires sont symbolisés par la pointe supérieure du losange.
L’axe horizontal représente la relation entre la conceptualisation du sujet (en gros, leur savoir ou la thèse
défendue) et l’objet, c’est-à-dire le ou les documents en tant qu’artefact.
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Figure 1
Transposition du carré didactique de Rézeau (2002) à l’analyse du travail collaboratif dans le cadre de
l’enseignement à distance
Le modèle s’applique de manière récursive. Ainsi lorsqu’un enseignant prépare son cours, il rassemble ou
produit un ensemble de documents. Pour susciter les débats en ligne, nous avons par exemple fourni à
nos étudiants une base de données bibliographiques (Meunier et Zibetti, 2019). Les documents choisis
notamment pour leur divergence sont instrumentalisés pour amener les étudiants à identifier les
controverses, les arguments et les termes du débat. Chacun des documents a un auteur qui défend un
point de vue ou, si on préfère, une thèse et le donne à voir au destinataire sous une forme particulière
(organisation des arguments, documents mis à disposition, etc.). Parce que l’enseignant prescrit la lecture
de ces documents aux apprenants, ceux-ci deviennent les destinataires de ces documents et peuvent
ainsi se les approprier. Ils vont pouvoir en surligner certains passages, les annoter et confronter leur point
de vue avec les autres étudiants. Ce faisant, il réalise ce que Szoniecky (2018) appelle une métamorphose,
c’est-à-dire la création d’un nouveau document par modification d’une de ces instances. Pour faire retour
à l’enseignant, seul ou en groupe, les apprenants vont alors produire un nouveau document, généralement
en agençant les idées trouvées dans les précédents (sans oublier de les citer). Szoniecky parle alors
d’hybridation et conçoit cette dernière comme une métamorphose enrichie. Enfin, le travail de l’enseignant
consiste à opérer une nouvelle métamorphose du document en commentant la copie et en fournissant
ainsi un feedback à l’étudiant.
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La pluralité des formes de médiation
Une caractéristique importante des activités instrumentées est la plurali des formes de médiation.
Chaque utilisation d’un instrument s’inscrit dans plusieurs formes de médiation, même si certaines formes
peuvent dominer en fonction des situations et des sujets (Cerratto Pargman et al., 2018). On distingue
quatre formes de médiation dans les situations d’apprentissage collaboratif (Lonchamp, 2012; Rabardel
et Bourmaud, 2003). Les deux premières concernent la relation entre le sujet (l’élève ou l’enseignant) et
l’objet (le savoir). La médiation épistémique donne à comprendre l’objet à travers l’instrument. C’est
typiquement appréhender un concept ou une théorie (objet) à l’aide de documents (instruments).
La position d’objet n’est pas intrinsèque, mais dépend de l’activité et de l’instrument utilisé dans celle-ci.
Ainsi, le document peut aussi être placé en position d’objet (ce qu’on cherche à connaitre) lorsqu’on
souhaite mettre en évidence les passages importants avec des annotations (instrument). Le second type
de médiation est pragmatique et est orienté vers la transformation de l’objet et l’obtention d’un résultat.
Par exemple, l’annotation conduit à la transformation du document avec pour résultat la création d’un
résumé ou l’identification des lignes de force d’un texte, si on ne considère que les passages annotés.
À ces deux formes de médiation concernant l’axe sujet-objet, Lonchamp (2012) ajoute une médiation
concernant l’axe interpersonnel. Dans la figure 1, c’est l’axe qui relie l’auteur (ou locuteur) et le destinataire
(ou interlocuteur). Comme pour l’axe sujet-objet, la médiation interpersonnelle est déclinée entre une
médiation épistémique, visant à connaitre l’autre, et pragmatique, c’est-à-dire visant à agir sur eux. Le post
sur un forum peut servir ces deux types de médiation en sollicitant par exemple un enseignant à donner
un complément d’information.
La quatrième forme est la médiation réflexive (ou médiation heuristique) qui s’inscrit dans la relation du
sujet à lui-même à travers l’instrument (Samurçay et Rabardel, 2004). C’est typiquement ce qu’on fait
lorsqu’on cherche à tester sa représentation à l’aide d’un document, en postant une question sur un forum
ou lorsqu’on insère une marque dans une annotation pour faire le lien avec une autre idée ou se rappeler
quelque chose.
Tâches, activités et schèmes instrumentaux
Un des principaux intérêts de la notion d’instrument pour l’analyse des situations d’enseignement
collaboratif réside dans la prise en compte d’un double mouvement : l’utilisation d’un instrument conduit à
la fois à la découverte des propriétés de celui-ci, mais aussi à l’adaptation des schèmes. Comme dans
n’importe quelle tâche médiée par un instrument, le sujet doit gérer simultanément deux tâches, l’une
principale et l’autre secondaire. Dans notre exemple, la première concerne le traitement du document lui-
même, sa structure, le titre, le résumé, les niveaux de titres ou la bibliographie et autres éléments de
paratextes qui en facilitent l’exploitation. La tâche secondaire est relative à l’utilisation. Elle dépend du
dispositif de consultation du document. Ce peut-être une version papier, un lecteur PDF ou un navigateur.
Ces deux tâches mettent en œuvre des schèmes différents. Le premier niveau renvoie aux habiletés pour
la lecture et l’analyse de texte, le second à l’utilisation d’un dispositif technique.
Dans les deux cas, l’activité est organisée par un certain nombre d’invariants. Ce sont les éléments
constitutifs des schèmes. Ainsi, pour faire l’analyse d’un document, nous recommandons généralement à
nos étudiants de lire d’abord le résumé, s’il y en a un, puis de prendre connaissance des titres et intertitres
pour se faire une idée globale, avec éventuellement une première lecture rapide avant de faire une lecture
approfondie, le surligneur à la main, qu’il soit physique ou numérique. Il s’agit du schème général de
l’analyse d’un texte académique. L’activité peut également être organisée en une série de tâches dans
lesquelles nous retrouverons à nouveau la distinction entre la tâche proprement dite et l’utilisation de l’outil.
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Si nous considérons par exemple l’annotation d’un document, une telle activité nécessite la coordination
d’au moins deux schèmes, l’un pour traiter le document lui-même : que surligner? dans quelle limite (mots-
clés, phrase ou paragraphe)?, typologie des annotations? etc.; l’autre pour utiliser le dispositif d’annotation.
S’agissant d’un feutre, cela ne semble pas poser de question tant les schèmes semblent bien intégrés,
mais dans le cas des documents informatiques, il en va autrement. Avec un lecteur PDF ou un traitement
de texte, il est possible d’annoter et de commenter, mais contrairement à l’annotation manuelle, il faut
sélectionner préalablement ce qui doit être surligné ou annoté. Selon les dispositifs, l’annotation peut rester
apparente en parallèle du texte ou être masquée, associée au surlignement ou indépendante. En ce qui
concerne les documents en ligne (page Web ou PDF), il faut recourir à un outil d’annotation qui nécessite
un apprentissage spécifique, plus encore si on veut l’utiliser pour un travail collaboratif.
On peut distinguer trois types de schèmes (Rabardel, 1995). Les premiers sont les schèmes d’utilisation.
Ils sont orientés vers l’utilisation de l’outil lui-même, c’est-à-dire le dispositif d’annotation dans notre
exemple précédent. Viennent ensuite les schèmes d'action à l'aide de l’instrument. Ils concernent la tâche
principale. Dans notre exemple, c’est la compréhension du document par identification des passages
importants à l’aide de l’outil d’annotation. La dernière catégorie concerne plus spécifiquement les activités
collaboratives qui nous intéressent. Ce sont les schèmes d'activités collectives. C’est grâce à eux qu’un
groupe d’individus coordonne et régule les interactions et les productions pour parvenir au but commun.
La gestion des réunions, par exemple, nécessite de tels schèmes. Ils permettent de trouver un créneau
commun, de considérer un ordre du jour négocié ou imposé et de gérer les tours de paroles,
éventuellement la proposition de synthèse intermédiaire puis la formulation d’une conclusion. Dans le cas
de la production d’un document collectif, ces schèmes d’activité collective vont concerner l’utilisation d’un
instrument commun autant que la gestion de l’activité elle-même. Il faut ainsi se mettre d’accord (i) sur le
choix de l’outil (édition en ligne, dossier partagé, gestionnaire de version, etc.) et s’assurer que tout le
monde a les schèmes d’utilisation ou peut les acquérir, (ii) le mode de gestion des différentes versions
(centralisation des propositions, correction directe dans le document ou commentaire et annotations) et
(iii) le processus d’arbitrage entre les différentes propositions (répartition des responsabilités sur les
différentes parties, qui fait la synthèse ou décide en cas de litige).
Le projet PEPE
Le cadre théorique que nous venons de présenter permet d’analyser un dispositif de formation à un niveau
macro, mais aussi à un niveau micro. C’est ce dont nous allons discuter en présentant un dispositif de
formation à la recherche élaboré dans le cadre d’un parcours pluriannuel en licence de psychologie. Notre
approche pédagogique consiste à penser l'initiation à la recherche de manière progressive en distinguant
trois étapes : (i) le développement des compétences à la recherche documentaire critique,
(ii) les compétences permettant de comprendre et de prendre part à une controverse socio-scientifique et
enfin (iii) les compétences permettant de mener une recherche proprement dite, notamment la
problématisation de la controverse et son opérationnalisation. Nous avons fait coïncider ces étapes avec
les trois années de licence. Le cours est dispensé entièrement à distance et les communications se font
de façon asynchrone à l’exception des travaux dirigés où nous utilisons la visioconférence.
Ce dispositif de formation a épublié sur une plateforme Omeka-s (http://pepe.univ-paris8.fr), dans le
cadre d’un projet baptisé PEPE (Penser, s’Etonner, Problématiser, Evaluer) et financé par la communauté
d'universités et établissements (COMUE) Université Paris Lumière (Meunier et Zibetti, 2019). Cette
plateforme permet à la fois de gérer les ressources et d’éditorialiser les contenus. Nous avons utilisé une
base de données bibliographiques et un outil d’annotation, Hypothesis (https://web.hypothes.is/), pour que
les étudiants de première année réalisent une analyse argumentative sur le document de leur choix et en
fassent un compte-rendu de lecture critique. En seconde année, c’est le débat, à l’aide du même outil
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d’annotation et l’analyse croisée de documents, qui permet de travailler sur les controverses. Nous nous
appuyons pour cela sur les compétences à l’analyse critique construites en première année. Ce travail est
finalisé par la production d’un rapport d’étonnement, c’est-à-dire l’identification et la formalisation des
termes d’une controverse (ce sont les arguments en débat dans la figure 1). L’étonnement attendu n’est
pas l’effet de surprise, mais l’étonnement épistémique indispensable à une possible problématisation
(Fabre, 2014). Cet étonnement permettra en troisième année de travailler sur les conditions de résolution
de la controverse, c’est-à-dire la problématisation et l’opérationnalisation de celle-ci, et sera concrétisé par
une petite recherche dans le cadre d’un projet tuteuré.
ORGANISATION DES DÉBATS EN LIGNE
Jusqu’à maintenant, les étudiants en seconde année devaient travailler individuellement l’analyse des
controverses. À partir d’octobre 2020, ce travail est réalisé en petit groupe. C’est l’analyse de ce nouveau
dispositif que nous proposons maintenant. Ce changement intervient après la formation d’une première
promotion de Licence première année (L1) à l’utilisation de l’outil d’annotation Hypothesis sur lequel le
dispositif de deuxième année (L2) s’appuie techniquement. Le scénario pédagogique est le suivant : après
une formation aux débats scientifiques qui fait écho à la formation épistémologique et méthodologique
qu’ils ont par ailleurs, les étudiants sont invités à choisir un thème dans une liste de débats socio-
scientifiques relatifs à l’impact du numérique sur les processus sociocognitifs. Les étudiants peuvent
également en proposer un. Un thème se présente sous la forme d’une affirmation, dont voici deux
exemples :
L’usage des écrans a un impact négatif sur le développement cognitif des enfants.
L’addiction au jeu est une forme d’addiction à part entière.
Les étudiants travaillent en groupe de six, un même thème pouvant être traité par plusieurs groupes. Les
étudiants doivent se répartir en deux camps, les défenseurs et les accusateurs de la thèse, puis opérer
une sélection d’un document chacun qui servira de base au débat. La tâche de chacun consiste à
convaincre l’autre camp qu’il a raison. Les échanges autour de ces documents se feront de façon
asynchrone dans un groupe privé sous Hypothesis. Le travail final attendu est un rapport d’étonnement
exposant l’état de la controverse, les arguments pour (thèse) et contre (antithèse), ainsi qu’une synthèse.
Les activités à mettre en œuvre pour réaliser le travail attendu sont listées dans le tableau suivant sous la
forme d’acquis d’apprentissage visés (AAV), c’est-à-dire de comportements observables attendus à l’issue
de la formation (Warnier et al., 2010).
Tableau 1
Les activités de l’étudiant lors d’un débat en ligne
Utilisation de dispositifs
techniques
Activités individuelles
Activités collectives
Utiliser un calendrier ou un
gestionnaire de tâches
Organiser un débat
- Définir l’organisation temporelle
- Règles d’échange
Utiliser une base de données
Sélectionner un document
- Formuler une requête
- Évaluer les résultats
Négocier le fond documentaire
commun
Faire une recherche sur Internet
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Utilisation de dispositifs
techniques
Activités individuelles
Activités collectives
Utiliser Hypothesis
- Créer un groupe
- Associer des documents
- Annoter
- Commenter des annotations
Analyser un texte socio-
scientifique
- Repérer les arguments
- Évaluer les arguments
Prendre part à un débat socio-
scientifique
- Défendre son point de vue
- Réfuter le point de vue opposé
- Élaborer une synthèse
Utiliser un document partagé
- Créer le document
- Partager le document
- Commenter ou annoter
Organiser un travail de rédaction
- Structurer le document
- Répartir des tâches de rédaction
- Définir des règles de validation
Bien qu’utiles pour analyser à grands traits une formation, ces AAV ne nous disent rien des processus à
l’œuvre pour obtenir ces résultats et donc, finalement, rien des compétences sous-jacentes ni ce qu’il
convient de faire pour remédier aux difficultés éventuelles. Il est donc important d’ouvrir la boite noire.
L’ANALYSE DES COMPÉTENCES
Les compétences, dans l’approche instrumentale, sont envisagées comme des structures d’organisation
de l’activité et décrites par des schèmes dont les composants (invariants opératoires, inférences, règles
d’action, anticipations) permettent de préciser la nature des observables associés à leur mise en œuvre,
c’est-à-dire la performance (Coulet, 2011; Loisy et Coulet, 2018), donnant ainsi corps à la notion d’acquis
visés d’apprentissage. La figure 2 présente l’alignement entre les composants des schèmes et les prises
d’information par l’enseignant à travers les outils pédagogiques qu’il mobilise.
Figure 2
Analyse de l’activité instrumentée de l’élève et de la situation pédagogique, d’après le modèle de Coulet (2011)
Nous faisons l’hypothèse que les individus mettent en œuvre un ou plusieurs schèmes pour réaliser
chacune de ces activités. Dans le tableau 1, certaines activités concernent l’utilisation des outils et
renvoient donc à des schèmes d’utilisation. Les autres concernent des activités individuelles ou collectives.
Certaines activités, notamment les activités organisationnelles, sont à cheval entre les activités
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individuelles et collectives. Les schèmes ont parfois été construits antérieurement et doivent être ajustés.
Ainsi, la participation à un débat à l’aide d’Hypothesis nécessite de savoir utiliser celui-ci et d’analyser de
manière critique des documents, ce que les étudiants ont appris en L1. En L2, nous ne faisons donc
qu’ajouter les dimensions sociocognitive et multidocumentaire à ce travail de compréhension des
controverses, ce qui va nécessiter l’adaptation des schèmes antérieurement acquis. Les schèmes ne sont
cependant pas directement observables. On ne peut y accéder qu’à travers le résultat de l’activité. Les
AAV n’en constituent qu’une description grossière.
Pour bien comprendre le processus d’élaboration et surtout penser l’alignement pédagogique entre les
compétences visées, les activités proposées et l’évaluation, il nous faut une description plus fine que les
AAV et surtout un moyen de suivre le développement des compétences. Ce moyen nest pas donné par
le devoir final qui est une reconstruction, qui plus est collective, mais par les annotations sous Hypothesis
qui constituent des traces du processus de débat. Elles sont, en effet, individuelles et datées. Il est alors
possible d’analyser finement les échanges argumentatifs (Checchi et Pallares, 2020; Pallarès, 2019). De
telles analyses permettent ainsi à l’enseignant une prise d’information sur chacune des composantes des
schèmes et d’agir sur celle-ci et la situation pédagogique (voir figure 2).
Discussion
Le cadre théorique dans lequel nous situons notre dispositif pédagogique offre un puissant outil conceptuel
pour le penser à la fois au niveau macro et au niveau micro. De notre point de vue, les dispositifs
d’enseignement à distance sont des systèmes d’apprentissage collaboratif en ligne. Ces systèmes
peuvent être décrits comme des systèmes instrumentaux dans lesquels les documents ont un statut
particulier, à la fois produits et instruments utilisés tant par l’enseignant que par l’étudiant pour gérer les
échanges et acquérir des connaissances et des compétences. Les étudiants peuvent cependant s’écarter
de l’intention dagogique souhaitée par l’enseignant dans sa prescription de l’usage du dispositif (voir,
par exemple, Demory et Girel, 2019). Une première façon de gérer cet écart est de renforcer le tutorat
et éventuellement de lui adjoindre des moyens informatiques : Leaning analytics, agents intelligents etc.
(Magnisalis et al., 2011). Nous nous situons plutôt du côté de ce que Lonchamp (2012) nomme
« les systèmes instrumentalisables par les apprenants », c’est-à-dire laissant aux apprenants la liberté de
s’emparer à leur façon du dispositif. Nous voyons à une telle approche plusieurs avantages. Elle est
d’abord techniquement plus simple et compatible avec les cohortes importantes qui sont les nôtres. En
effet, en L2, nous avons plus de 100 étudiants et un seul enseignant pour s’en occuper. Par ailleurs, le
projet s’inscrit dans une démarche d’autonomisation des étudiants. Notre intention est de les engager dans
une démarche d’instrumentalisation des documents et des codes du débat scientifique. De ce point de
vue, il est beaucoup plus opérationnel de chercher à appréhender les schémas d’activités mis en œuvre
par les étudiants dans leur utilisation collective du dispositif. En effet, l’évaluation de celui-ci ne peut avoir
de sens, dans le cadre d’une approche instrumentale, que dans l’évaluation de la signification pour un
utilisateur particulier dans une tâche bien définie (White, 2008). Parallèlement, l’évaluation de l’apprenant
ne prend sens qu’au regard des schèmes qu’il a mis en œuvre pour appréhender l’activité et sa capacité
à les faire évoluer pour attendre le but prescrit. Ce qui importe, c’est sa trajectoire cognitive.
Les annotations des apprenants constituent de ce point de vue une fenêtre ouverte sur ces processus.
Elles vont permettre d’étudier la mise en œuvre des différents types de schèmes et la genèse
instrumentale chez l’apprenant. L’enjeu est maintenant l’élaboration d’une méthodologie d’analyse qui
constitue un projet de recherche en soi, tant pour mettre en évidence les schèmes postulés que pour
comprendre la dynamique de leur évolution. Le point de vue que nous avons sur le document implique par
ailleurs que les processus d’instrumentation et d’instrumentalisation sont autant du côté de l’enseignant
que de l’étudiant. Or, « les deux processus contribuent conjointement, et souvent de manière dialectique,
à la construction et à l'évolution de l'instrument » (Béguin et Rabardel, 2000, p. 181). Cela constitue le
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dernier avantage d’adopter le point de vue des systèmes instrumentalisables par les apprenants. En
situant le dispositif dans cette dialectique, on met en place les conditions de son évolution, ce qui est une
autre façon de dire qu’on souhaite une démarche centrée sur l’apprenant et de l’inscrire dans une
démarche qualité qui dépasse la simple évaluation de sa perception par les étudiants.
Liste de références
Béguin, P. et Rabardel, P. (2000). Designing for instrument-mediated activity. Scandinavian Journal of Information Systems,
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